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Contrôle des pensées, inhibition et autres mécanismes exécutifs exécutifs

Chapitre 2 : Impulsivité et contrôle des pensées

2.2 Mécanismes en jeu

2.2.4 Contrôle des pensées, inhibition et autres mécanismes exécutifs exécutifs

Plusieurs recherches suggèrent que l’apparition et le maintien de certaines formes de pensées (Friedman & Miyake, 2004; Watkins & Brown, 2002; Whitmer

& Banich, 2007) et de souvenirs intrusifs (Verwoerd, Wessel, & de Jong, 2009;

Wessel, Overwijk, Verwoerd, & de Vrieze, 2008) pourraient provenir de difficultés affectant des mécanismes spécifiques d’inhibition.

Plus précisément, Friedman et Miyake (2004) ont mis en évidence un lien entre les pensées intrusives (évaluées via le facteur Intrusions du questionnaire WBSI de Wegner & Zanakos, 1994) et la capacité de résister à l’interférence proactive laquelle était mesurée via diverses tâches cognitives (p.ex., rappel libre de listes de mots et de paires de mots associés). En revanche, le mécanisme d’inhibition de réponses dominantes et de distracteurs externes n’était pas corrélé à cette mesure des pensées intrusives. De même, Wessel et al. (2008) ont montré que la résistance à l’interférence proactive (évaluée par une procédure d’apprentissage de paires de mots associés) – et non l’inhibition de réponses dominantes et de distracteurs externes (évaluées via une tâche de génération aléatoire de chiffres) – prédit la fréquence d’apparition de souvenirs intrusifs consécutifs au fait de visionner une scène violente (issue du film American History X). Enfin, dans la même perspective, Verwoerd et al. (2009) ont observé une contribution spécifique de la résistance à l’interférence proactive (évaluée par une procédure d’apprentissage de paires de mots associés) dans l’apparition de souvenirs intrusifs d’un événement traumatisant (fréquence mesurée à l’aide de l’IES, Horowitz et al., 1979) ; l’inhibition de réponses dominantes (évaluée par une tâche de Stroop et par une tâche de génération aléatoire de chiffres) était indépendante de la fréquence de ces intrusions.

Ces différentes études indiquent que la capacité de résistance à l’interférence proactive est le mécanisme d’inhibition privilégié pour un bon contrôle de ses pensées. Toutefois, certaines données suggèrent que l’inhibition de réponses dominantes joue également un rôle important dans l’apparition de

pensées intrusives (Badcock, Waters, & Maybery, 2007; Watkins & Brown, 2002;

Whitmer & Banich, 2007).

Une étude récente a permis de dissocier, dans différentes formes de pensées centrées sur soi , les difficultés de flexibilité (capacités de changer ses représentations mentales de manière flexible) et les difficultés à inhiber des informations qui ne sont plus pertinentes (Whitmer & Banich, 2007). Ces auteurs ont utilisé un paradigme de task-switching. La tâche consistait à identifier quelle forme (parmi quatre) différait des autres. Avant chaque série d’identification, une consigne précisait si cette identification devait être effectuée en prenant en compte la différence d’orientation, le mouvement, ou la taille des quatre formes.

Cette tâche permettait ainsi d’évaluer deux éléments :

(1) les capacités de résister à l’interférence proactive, soit les temps de réaction pour une consigne qui vient d’être abandonnée (p.ex., jugement sur la taille, sur la forme, puis à nouveau sur la taille) comparés aux temps de réaction dans une condition de contrôle où les consignes changent chaque fois (p.ex., taille, forme, mouvement) ; et

(2) les capacités de flexibilité, soit les temps de réaction pour une consigne qui se répète deux fois (p.ex., taille, taille) comparés aux temps de réaction dans la condition de contrôle (où les consignes changent chaque fois, p.ex., forme, taille, mouvement). Il est important de relever que, dans l’étude de Friedman et Miyake (2004), l’inhibition de réponses dominantes (mais pas la résistance à l’interférence proactive) était impliquée dans ces capacités de « task-switching » ou flexibilité.

Cette recherche a montré que, chez des étudiants universitaires, des scores plus élevés de rumination de type dépressive (des pensées associées à des tendances motivationnelles d’évitement) sont liés à des difficultés à résister à l’interférence proactive mais non à des difficultés de flexibilité. En revanche, les difficultés de flexibilité (mais non l’interférence proactive) sont liées à des scores plus élevés de réflexion et de rumination de type colérique (des pensées associées à des tendances motivationnelles d’approche). Cette étude permet donc de préciser les mécanismes à l’œuvre dans les difficultés à désengager

son attention de pensées autocentrées en suggérant que des mécanismes spécifiques sont impliqués dans des formes distinctes de pensées intrusives.

Badcock et al. (2007) ont quant à eux montré que des patients TOC présentent des difficultés à résister à l’interférence proactive (évaluée via une tâche de reconnaissance de type RNT) et des difficultés à inhiber des réponses dominantes (évaluée par une tâche de Hayling). Ces auteurs proposent qu’une faiblesse relative à ces deux mécanismes pourrait être responsable des pensées intrusives non désirables et incontrôlables des TOC, ou en d’autres termes qu’une variété de difficultés d’inhibition rendrait compte des obsessions de patients TOC.

De manière plus consistante, Watkins et Brown (2002) ont examiné les capacités d’inhibition de réponses dominantes (via une tâche de génération aléatoire de chiffres) dans un groupe de patients souffrant de dépression et un groupe de participants de contrôle. Chaque groupe effectuait cette tâche après une induction de ruminations et après une induction de distractions (suivant un ordre contrebalancé). Il est intéressant de constater que les performances du groupe clinique et de contrôle ne diffèrent pas après la tâche de distraction. En revanche, une différence apparaît dans les performances après l’induction de rumination au détriment du groupe de patients dépressifs. Ainsi, chez ces patients habitués à ruminer, le fait de déclencher ces pensées intrusives va affecter leurs capacités d’inhibition. Par conséquent, les ruminations de patients dépressifs, et non pas la dépression en tant que telle, sont liées à des difficultés d’inhibition de réponses dominantes.

Il peut ainsi être proposé que les intrusions négatives récurrentes prennent progressivement la forme de schémas récurrents qui vont s’automatiser et intégrer à la fois des comportements, pensées et émotions, comme dans les obsessions des patients souffrant de TOC depuis de nombreuses années ou dans les ruminations des patients présentant plusieurs épisodes de dépression majeure. Par conséquent, certains aspects de l’inhibition de réponses dominantes (supprimer de fortes habitudes et réactions émotionnelles)

pourraient intervenir dans le contrôle de pensées intrusives intenses et récurrentes qui se sont automatisées à force de se répéter.

En conclusion, ces données indiquent qu’il est possible d’identifier des processus cognitifs spécifiques à certaines intrusions de pensées. Un cadre particulièrement intéressant pour préciser ces mécanismes repose sur la distinction entre deux capacités d’inhibition mises en évidence par Friedman et Miyake (2004). Ainsi, les souvenirs intrusifs pourraient provenir de difficultés de résistance à l’interférence proactive et non de problèmes à inhiber des réponses dominantes. En revanche, ce dernier mécanisme d’inhibition, lié à la flexibilité (Friedman & Miyake, 2004), semble important pour contrôler certaines pensées plus récurrentes et qui ont été automatisée au fil du temps (p.ex., les ruminations et les obsessions). Ces résultats soulignent l’importance de dépasser une vision trop unitaire ou globale qui consiste à attribuer les pensées intrusives à des ressources exécutives ou de mémoire de travail. Ils suggèrent donc de distinguer à la fois le contenu de ces pensées et les processus mis à l’œuvre dans leur contrôle.