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2. Apports contextuels et conceptuels

2.3 Mesures d’appui à l’intégration

Paccaud (2017) s’est intéressée à la façon dont le principe d’intégration est mis en œuvre dans les systèmes éducatifs. Son objectif est « d’explorer le « comment » de l’intégration scolaire, afin de promouvoir l’utilisation de méthodes adaptées et afin de ne pas mener les « acteurs du terrain » à l’épuisement » (p.1). Ses recherches nous apportent plusieurs éléments descriptifs des systèmes scolaires en Suisse et à Genève, tout en questionnant les pratiques et le

« public » visé par les intégrations.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’intégration pose de réels défis dans son application concrète aussi bien en classe qu’au niveau macro-économique dans la gestion de l’Ecole et des ressources. En effet, une volonté d’intégration demande de « mettre en place un enseignement et des soutiens qui répondent à la fois aux besoins spécifiques de l’élève à besoins éducatifs particuliers, aux besoins de ses pairs, ainsi qu’aux exigences légales » (Lynch & Adams, 2008 ; Mitchelle et al., 2010 ; Timberlake, 2016, cités par Paccaud, 2017, p.3). De plus, le profil des élèves à besoins éducatifs particuliers est très variable, ils peuvent avoir des caractéristiques, des compétences, des difficultés, des troubles très différents les uns des autres. Paccaud (2017) relève un manque en Suisse au niveau des statistiques concernant les élèves intégrés, les chiffres ne permettent pas de définir clairement quels profils d’élèves bénéficient ou non d’intégration. « Il semblerait que les élèves intégrés sont plus souvent des élèves ayant des difficultés “légères” d’apprentissage ou de comportement, que des élèves ayant des déficiences intellectuelles et des difficultés “plus conséquentes” » (p.122). Dans tous les cas, les enseignants doivent s’adapter à l’enfant particulier intégré dans leur classe, mettre en place un projet qui lui est propre. Qui est cet élève ? Quelles sont ses forces et ses difficultés ? Que dois-je lui enseigner et que puis-je adapter ? Quels sont les outils à utiliser, ceux à éviter ? De quel soutien peut-il bénéficier ? Jusqu’à quel point dois-je respecter le

25 même programme et les mêmes objectifs que pour ses pairs, jusqu’à quel point puis-je individualiser mon enseignement ? Voilà quelques questions et défis auxquels les enseignants doivent trouver réponses et pistes d’action.

L’intégration implique une gestion de l’hétérogénéité des élèves au sein d’une même classe.

En Suisse, deux idées principales sont appliquées : la compensation des désavantages et le programme individualisé. La première « consiste en la neutralisation ou la diminution des limitations occasionnées par un handicap » (Paccaud, 2017, p.38). Dans cette optique, l’environnement d’apprentissage est modifié, adapté pour permettre à l’élève d’atteindre les mêmes objectifs et d’aborder les mêmes contenus que ses pairs. Le programme individualisé intervient lorsque cette première option n’est pas suffisante. Les objectifs et le programme sont alors adaptés en fonction des compétences et des besoins de l’élève.

Nous pouvons toutefois envisager l’intégration sous un angle différent. Plutôt que d’essayer de réintégrer des élèves à l’école régulière, ne pourrait-on pas adapter cette dernière pour permettre à tous les élèves d’y rester ? Dans le mouvement actuel de l’école inclusive, il nous semble pertinent de réfléchir à des changements au sein de l’école et de l’enseignement pour permettre à tous les élèves d’y poursuivre leur scolarité. Paccaud (2017) relève trois mesures principales pour accueillir tous les enfants dans l’école régulière visant à « modifier la manière d’enseigner et de planifier l’enseignement à la base, pour tous les élèves, et non uniquement pour les élèves à besoins éducatifs particuliers » (p.51). Des pistes d’actions concrètes peuvent s’inspirer de la conception universelle de l’apprentissage qui s’appuie sur la zone proximale de développement de Vygotsky (1980) ou sur les intelligences multiples développées par Gardner (1996) pour tenter de rendre l’enseignement accessible à tous. Des modèles d’intervention précoces sont aussi à promouvoir pour pallier les difficultés rencontrées à l’école, ou encore le concept de différenciation pédagogique « visant à offrir des possibilités variées d’apprentissage à tous les élèves, en fonction de leurs possibilités » (Paccaud, 2017, p.55). Actuellement, les enseignants sont sensibilisés à rendre leur enseignement accessible à un maximum d’élèves, à présenter les contenus de façons variées, à mettre en place de la différenciation pédagogique, etc. Mais qu’en est-il lorsque ces mêmes enseignants sont amenés à collaborer avec des professionnels de l’enseignement spécialisé, lorsqu’ils doivent accueillir dans leur classe un élève portant le statut d’élève à besoins éducatifs particuliers ? Les enseignants spécialisés sont-ils freinés lorsqu’ils souhaitent intégrer des élèves dans les classes régulières ou a-t-on dépassé les craintes, l’impression de ne pas être suffisamment informé et formé ? Nos rencontres avec différents enseignants

26 spécialisés nous donneront un aperçu des intégrations ayant lieu à Genève actuellement, faisant ressortir les dilemmes et défis d’aujourd’hui.

En Suisse, chaque canton a mis en place un cadre particulier dans lequel les intégrations ont lieu. Une certaine liberté est laissée aux différents acteurs de l’enseignement pour innover, essayer, chercher une façon pertinente et efficace d’accueillir les élèves à besoins éducatifs particuliers à l’école, ce qui donne une grande variété de l’offre. Paccaud (2017) a recensé les différentes offres et mesures de soutien scolaire existant dans les cantons de Suisse romande, avec toutefois la difficulté d’en avoir une vision globale, car il existe peu de documents qui les recensent (p.21). Différents auteurs relèvent également « le manque de clarté ressenti par les acteurs de l’école au sujet de l’attribution d’un “statut” à l’élève et des décisions concernant les mesures de soutien (nombre de périodes, forme du soutien) à mettre en place » (Elmiger & Lienhard, 2014 ; Feller-Lämzlinger et al., 2014 ; Luder & Kunz, 2012, cités par Paccaud, 2017, p.29). Dans le contexte de la classe accueillant un élève à besoins éducatifs particuliers, certains enseignants ne se sentent pas suffisamment soutenus, manquant de soutien spécialisé pour l’élève intégré ou ne sachant pas quelles interventions mettre en place pour répondre à ses besoins. Bien que des décisions soient prises aux niveaux politique et légal en faveur de l’intégration, sa mise en application par les acteurs du terrain se fait encore à tâtons. Nous voyons là un grand besoin de collaboration entre les différents niveaux et acteurs de l’éducation. En Suisse, un des outils utilisés pour attribuer les mesures de soutien aux élèves est la Procédure d’Evaluation Standardisée (PES). « Cette procédure rend la démarche d’attribution des mesures plus transparente, elle permet de corriger d’éventuelles inégalités, et surtout d’assurer à l’enfant qu’il bénéficie des mesures dont il a besoin pour atteindre les objectifs ayant été définis comme adéquats pour lui » (CDIP, 2014, p.9, cité par Paccaud, 2017, p.31). Différents moyens apparaissent donc pour clarifier les projets d’intégration et guider les enseignants qui accompagnent une intégration ou qui accueillent un élève à besoins éducatifs particuliers dans leur classe. Lors des entretiens avec les enseignants spécialisés, nous aurons un aperçu de l’aide et de l’efficacité de ces outils standardisés.

Chaque canton ayant ses propres spécificités, nous nous intéresserons dans ce travail uniquement au cas de Genève. Paccaud (2017) y recense six catégories de soutien : « réseau d'enseignement prioritaire, devoirs surveillés, soutien pédagogique hors temps scolaire, mesures d'accompagnement, soutien pédagogique, accueil des élèves allophones » (p.324).

Chacune des mesures de ces six catégories cherche à favoriser l'intégration de tous les élèves dans l'enseignement régulier. Dans ce but, des mesures de soutien peuvent être apportées de

27 façon préventive à un établissement, par exemple, ou de façon individuelle ou encore destinées à des classes particulières.

Le réseau d'enseignement prioritaire choisit certaines écoles, en fonction de critères sociaux, économiques, etc., dans le but de corriger l'inégalité des chances du point de vue scolaire.

Dans cette optique, les écoles faisant partie du réseau d'enseignement prioritaire obtiennent davantage de ressources et une collaboration plus étroite avec les services éducatifs et sociaux.

Au niveau des mesures individuelles proposées aux élèves, il y a la possibilité de faire appel à des thérapeutes extérieurs à l'école, tels des psychologues, psychomotriciens, logopédistes. Le canton propose aussi une prise en charge spécifique et spécialisée pour les enfants malentendants ou malvoyants à travers des centres de compétence.

Nous trouvons des classes spécialisées, plus ou moins en lien direct avec l'école régulière, en fonction des possibles intégrations des élèves dans une classe de l’enseignement régulier.

Cette catégorie concerne les regroupements de classes spécialisées ainsi que les classes intégrées. Ces dernières sont situées dans un bâtiment de l'école régulière, ceci dans le but de faciliter les échanges et les intégrations. Les élèves sont scolarisés en classe spécialisée, mais certains d'entre eux accompagnent une classe régulière pour diverses activités.

Une particularité du canton de Genève est d'offrir aux élèves qui en ont besoin un soutien pédagogique en enseignement spécialisé (SPES). Cette possibilité concerne les élèves scolarisés dans l'école régulière pouvant parfois fréquenter une institution spécialisée. Ils bénéficient du soutien d'un enseignant spécialisé un certain nombre de périodes hebdomadaires.

Actuellement, un projet pilote suit son cours dans quelques écoles genevoises : le Dispositif d'Intégration et d'Apprentissages Mixtes, Diam's. Ce projet a la volonté de favoriser l'intégration des élèves de l'enseignement spécialisé en classe régulière selon un découpage horaire particulier.

Pour plus de clarté, nous reprenons ci-après le tableau réalisé par Paccaud (2017, p.179), présentant une vue d’ensemble des mesures de soutien appliquées à Genève.

Mesures préventives Mesures d’aide “préventives” Devoirs surveillés Soutien à la classe ou à Réseau d’enseignement

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L'orientation des élèves à besoins éducatifs particuliers dans des classes particulières présente des avantages et des inconvénients. Trépanier (2003, repris par Paccaud 2017) en relève plusieurs. Pour un élève ayant des besoins particuliers, une structure d’accueil de type classe particulière lui permettrait de recevoir un soutien personnalisé et intensif, comportant moins de distraction qu’une classe régulière, offrant à l’élève un suivi précis et immédiat sur ses apprentissages, apportant un cadre dans lequel ses pairs présentent également des difficultés.

Cependant, les classes particulières ont le désavantage d’engendrer une rupture d’avec le groupe classe, de n’offrir des mesures d’aides qu’aux élèves étiquetés à besoins éducatifs particuliers ou porteurs d’un handicap, de restreindre les possibilités d’intégration en classe régulière. Les classes spéciales placent l’élève dans un double contexte, rendant difficile notamment le transfert des connaissances. Nous aborderons ces difficultés au chapitre 2.5.

Dans le cadre de ce mémoire, nous nous pencherons sur trois contextes particuliers : les regroupements de classes spécialisées, les classes intégrées ainsi que le soutien pédagogique itinérant en enseignement spécialisé. Nous examinerons le vécu des enseignants spécialisés en charge d'apporter le soutien à l'intégration au sein de ces structures.

29 2.4 Activité de soutien

Nous avons décrit l’intégration à travers le législatif, la terminologie, les structures. Penchons-nous à présent sur l’activité de soutien qu’engendre tout projet d’intégration.

Trépanier (2003, cité par Paccaud, 2017) regroupe les mesures d’aide apportées aux élèves à besoins éducatifs particuliers au Québec en trois catégories : « La première concerne des interventions où le soutien à l’élève en difficulté a lieu en dehors de la classe régulière ; la seconde comprend les interventions où le soutien à l'élève a lieu au sein de la classe régulière

; et la dernière est une forme de service où l’enseignant spécialisé intervient de manière indirecte auprès de l’élève, en conseillant son enseignant » (p.13). L’activité de soutien à l’intégration réalisée par l’enseignant spécialisé est dépendante du contexte dans lequel il travaille, que ce soit au niveau de son implication, de son rôle et de ses pratiques. L’activité de soutien à l’intégration amène une forme de collaboration entre l’enseignant régulier et l’enseignant spécialisé. « Les modèles d’intervention procurant du soutien en contexte scolaire à visée inclusive se différencient notamment en fonction de leur cible (l’élève, la classe ou l’enseignant), du lieu dans lequel ils s’opèrent (en classe ou en-dehors) distinguant de fait une aide fournie directement ou indirectement à l’élève » (Trépanier & Parré, 2010, repris par Benoit & Angelucci, 2016, p.48).

Comme le définit Pelgrims (2015) dans l’unité de formation Enseignement et apprentissages en contexte d’intégration scolaire, « le rôle d’enseignant spécialisé exerçant en appui à l’intégration consiste à soutenir ou étayer indirectement ou directement l’activité des élèves à besoins éducatifs particuliers afin qu’ils puissent intégrer le rôle d’élève en classe régulière, accomplir les tâches et accéder aux savoirs attendus. Il requiert à cet effet de multiples collaborations ». L’activité de soutien peut être réalisée à l’extérieur de la classe régulière, de façon individuelle ou en petit groupe. Lorsque le soutien est apporté au sein de la classe régulière, les enseignants réguliers et spécialisés sont amenés à collaborer. Le rôle de l’enseignant spécialisé peut varier, étant considéré comme « une personne ressource, pour adapter le matériel et les outils d’enseignement, ainsi que les moyens pédagogiques » (Paccaud, 2017, p.15). Les enseignants sont libres de choisir une organisation et un fonctionnement qui leur conviennent, de se répartir les tâches et les rôles. Benoit et Angelucci (2016), reprenant les travaux de Marcel, Dupriez et Périsset Bagnoud (2007) placent sur un continuum les différentes modalités de répartition du travail, soit la coordination, la collaboration et la coopération. La coordination est la modalité impliquant le moins

30 d’interdépendance entre les enseignants. Il leur suffit de coordonner leurs actions et de respecter les directives qui leur sont communiquées. La collaboration apporte un degré plus élevé d’interdépendance dans le sens où les enseignants choisissent des objectifs communs et se partagent des responsabilités. Le troisième et dernier niveau implique un plus haut degré d’interdépendance à travers la coopération qui elle-même conduit au co-enseignement. « Le co-enseignement se définit ainsi comme étant un partenariat entre un enseignant de classe régulière et un enseignant spécialisé, ou un autre spécialiste, dans le but d’enseigner conjointement, dans une classe de l’enseignement régulier, à un groupe hétérogène d’élèves - incluant ceux en situation de handicap ou avec d’autres besoins particuliers - afin de répondre à leurs besoins éducatifs spécifiques » (Friend et al., 2010, cités par Benoit & Angelucci, 2016, p.50).

Nous appuyant sur les enseignements de Pelgrims (2015), nous pouvons relever un certain nombre de tâches relevant de l’activité de soutien à l’intégration. Comme nous l’avons vu, les enseignants spécialisés sont amenés à collaborer avec les enseignants réguliers, aussi bien en l’absence qu’en présence des élèves. Pour certains auteurs, ces tâches d’enseignement se limitent à la préparation : « le co-enseignement exige du temps de préparation en commun qui complète le temps passé en classe avec les élèves » (Benoit & Angelucci, 2016, p.50). Cette collaboration en amont entre les professionnels permet de définir une ligne commune dans l’enseignement. Chacun est impliqué dans les prises de décisions, dans les choix en matière d’objectifs scolaires, et une répartition des responsabilités et des rôles peut être effectuée.

Selon Pelgrims (2015), le co-enseignement se matérialise dans l’actualisation de tâches d’enseignement relevant de trois ordres : premièrement l’ordre didactique qui comprend les tâches relatives à l’enseignement des disciplines, tels que le choix des objectifs, la planification, la gestion des temps d’enseignement, l’évaluation ; deuxièmement l’ordre pédagogique qui concerne les tâches relatives à l’obtention de l’ordre en classe et la participation de chaque élève, telles que les tâches de gestion de classe, la création du collectif-classe et du climat de classe auquel chacun se sente appartenir, l’instauration des règles de fonctionnement, des dynamiques relationnelles harmonieuses ; et troisièmement les tâches d’ordre collaboratif qui concernent la collaboration avec les différents partenaires de l’établissement scolaire, de l’école, d’autres professionnels, les parents, ainsi que les tâches d’analyse et régulation de son activité professionnelle ou plus largement celles de formation continue.

31 Pour plusieurs auteurs, le co-enseignement et la collaboration entre les enseignants spécialisés et les enseignants réguliers sont des éléments essentiels pour favoriser l’intégration des élèves à besoins éducatifs particuliers dans les classes régulières. En effet, cette collaboration permet

« d’articuler l’activité des enseignants » ; elle améliore « l’accès aux savoirs et au rôle social d’élève » ; elle « diminue l’individualisation » ; elle permet l’articulation de « l’activité individuelle à l’activité collective de la classe » (Pelgrims, 2015). De plus, le co-enseignement profite aux enseignants eux-mêmes en leur donnant l’opportunité « de la formation informelle et mutuelle » (Benoit & Angelucci, 2016, p.50) et l’occasion de se soutenir l’un l’autre. Il existe plusieurs modèles de co-enseignement, permettant de s’adapter aux situations d’apprentissage et aux besoins des élèves.

La collaboration et le co-enseignement sont des pratiques aidant à intégrer les élèves à besoins éducatifs particuliers dans les classes régulières. Nous observerons leur mise en œuvre dans les trois contextes étudiés, à savoir les regroupements de classes spécialisées, les classes intégrées et le soutien itinérant. Nos lectures et nos expériences de stage ont mis en évidence plusieurs obstacles et freins aux pratiques collaboratives. Il peut y avoir une certaine appréhension chez les enseignants réguliers d’accueillir un autre professionnel au sein de leur classe et de leurs pratiques. Nous avons également observé que beaucoup d’échanges entre les enseignants se font de manière informelle et succincte. “Le manque de temps spécialement dédié à la copréparation et à la coévaluation est l’un des obstacles les plus fréquemment rencontrés dans la pratique” (Fuchs, 2010, cité par Benoit & Angelucci, 2016, p.52).

Nous aborderons dans le chapitre suivant d’autres éléments pouvant rendre complexe l’union de la classe régulière et de la classe spécialisée.

2.5 Contraintes et libertés d’action

Malgré un mouvement au niveau des politiques scolaires étant en faveur d’une école inclusive pour les élèves présentant des besoins éducatifs particuliers, Bless (2004) démontre qu’au niveau statistique de plus en plus d’élèves déclarés en difficulté ou en échec (sans déficiences physiques ou psychiques) sont finalement orientés vers des classes spécialisées. Par conséquent, les élèves présentant des besoins spécifiques auxquels l’enseignement régulier peine à répondre sont regroupés dans des classes à effectif réduit censées alors réunir les conditions qui pourraient leur garantir une réussite scolaire. Nous verrons pourquoi le contexte particulier des classes spécialisées peut rendre ardu la réunion de ces conditions.

32 En effet, il existe pour les enseignants de classes spécialisées un système de libertés et de contraintes différent des enseignants de classes régulières. D’après Pelgrims (2009), les éléments les plus marquants concernant les « libertés » des enseignants spécialisés se réfèrent à la liberté de programme et à la liberté de fonctionnement. La première liberté est pensée en réponse à la tâche des enseignants spécialisés qui est celle de définir des programmes éducatifs individualisé en fonction des besoins de chaque élève et « afin de faciliter cette tâche d’individualisation, la référence aux programmes scolaires de l’enseignement régulier n’est pas obligée en termes législatifs […] » (p.137). Ainsi, les enseignants spécialisés jouissent d’une liberté certaine en termes de programmes scolaires. Cette liberté de programme est accompagnée de la liberté de fonctionnement donnée par l’effectif réduit des élèves censée faciliter les enseignants « dans l’accomplissement de leurs tâches d’enseignement différencié, individualisé » (p.137).

Cependant, ces libertés engendrées dans les directives institutionnelles semblent occulter trois configurations de particularités sur le plan scolaire pouvant opérer comme des contraintes de fonctionnement : l’hétérogénéité scolaire ; l’absence de mémoire collective ; la culture de l’échec et des aides (Pelgrims, 2009).

L’hétérogénéité scolaire de la classe spécialisée est liée aux parcours scolaires antérieurs des élèves qui sont uniques et différents les uns des autres. Ces derniers sont « très variables du point de vue du nombre d’années réalisées dans les conditions de l’enseignement régulier, des programmes scolaires abordés, des réussites et échecs encourus, des ruptures sociales, pédagogiques et didactiques subies lors d’un redoublement et des transitions scolaires, du nombre d’années d’apprentissage dans les conditions d’une ou plusieurs classes spécialisées » (Pelgrims, 2009, p.138).

Dans une classe de l’enseignement régulier, les élèves forment une « volée » où il existe un partage d’expériences (pédagogiques, didactiques, socio-affectives) se transmettant d’année en année. Cette forme de communauté a donc construit un système « d’attentes, de règles du jeu, de savoirs, de savoir-faire communément construits et partagés qui opèrent comme

Dans une classe de l’enseignement régulier, les élèves forment une « volée » où il existe un partage d’expériences (pédagogiques, didactiques, socio-affectives) se transmettant d’année en année. Cette forme de communauté a donc construit un système « d’attentes, de règles du jeu, de savoirs, de savoir-faire communément construits et partagés qui opèrent comme