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De la connexité au cours de la période suspecte

Section II. – De la compensation des dettes connexes

II. De la connexité au cours de la période suspecte

56. – Il règne en la matière un véritable flou doctrinal. La question est la suivante. La

connexité de deux créances peut-elle justifier leur compensation au cours de la période suspecte là où, en l’absence de connexité, cette compensation serait interdite sur le fondement de l’art. L. 621-107 C. com. ? Deux courants s’opposent, et nous devons admettre que nous sommes bien en peine d’opter pour l’un ou l’autre. D’ores et déjà, il convient de préciser que cette question ne doit être posée qu’à propos de la compensation conventionnelle stricto sensu. En effet, le recours à la notion de connexité est inopérant dans le cadre de la compensation légale ou judiciaire.

Certains auteurs estiment que la compensation conventionnelle pourrait échapper à la nullité de droit de l’art. L. 621-107 C. com. dès lors que les obligations compensées sont unies par un lien de connexité156. D’autres affirment au contraire que la connexité n’a pas sa place

153 V. RIPERT et ROBLOT, Traité de droit commercial, tome II, par GERMAIN et DELEBECQUE, L. G. D. J.,

16ème éd., n° 3055 et 3040. 154 Cf. supra.

155 Cf. supra.

156 V. en ce sens PERCEROU et DESSERTEAUX, Des faillites et banqueroutes et des liquidations judiciaires,

tome II, Rousseau, 2ème éd., n° 867 ; RIPERT et ROBLOT, Traité de droit commercial, tome II, par GERMAIN

au cours de la période suspecte, et ce au nom de l’égalité des créanciers157. Il est vrai que la

jurisprudence en la matière ne permet pas de trancher clairement. Les rares arrêts qui ont admis cette compensation pour dettes connexes au cours de la période suspecte l’ont fait à propos d’un compte unique et indivisible liant les parties158. Or, on l’a vu, le fonctionnement

du compte n’est pas altéré par la survenance de la cessation des paiements, car les remises effectuées durant la période suspecte ne donnent pas à notre avis lieu à compensation immédiate. En revanche, on peut imaginer que le compte soit clôturé au cours de la période suspecte, mais l’arrêt ne se prononce pas sur une telle hypothèse, alors même que son raisonnement n’est applicable que dans celle-ci159. De même, la compensation serait

envisageable si, intervenant au cours de la période suspecte, elle résultait d’une relation contractuelle antérieure à la cessation des paiements160. A notre avis, la connexité ne doit pas pouvoir permettre une compensation là où, durant la période suspecte, elle est interdite. En effet, c’est là courir le risque d’une atteinte flagrante à l’égalité des créanciers que rien ne permet de justifier. Il faut en effet garder à l’esprit le fait que la période suspecte a pour but premier la lutte contre la fraude. Et on ne voit pas en quoi la connexité de deux obligations peut ôter au fait de les compenser au cours de la période suspecte toute suspicion de fraude. Il ne s’agit pas ici de contourner une interdiction des paiements, mais une interdiction de la fraude. Et à notre avis, il n’y a pas lieu de la contourner.

57. – Conclusion. Nous avons à ce stade tenté d’éclaircir les conditions de la

compensation à la lumière du droit commun. La complexité de la matière et les interférences de la pratique laissent encore subsister des zones d’ombre. On peut espérer qu’elles soient levées avec la prochaine réforme du droit des procédures collectives, bien qu’on ne sache pas précisément quelle en sera l’exacte ampleur. En outre, les suggestions de la Cour de cassation en la matière, publiées récemment à l’occasion du rapport annuel de 2002161, ne semblent

aborder le problème de la compensation qu’en filigrane. La raison en est sans doute que la compensation est moins souvent un problème autonome qu’un élément perturbateur des

157 V. PEDAMON, La compensation des dettes connexes, R. J. Com. nov. 1992, n° spécial, 72. 158 V. Civ., 18 mars 1935, D. H. 1935, 235.

159 En outre, on ne voit pas pourquoi ce compte serait clôturé avant l’ouverture de la procédure.

160 V. en ce sens, PERCEROU et DESSERTEAUX, Des faillites et banqueroutes et des liquidations judiciaires,

tome II, Rousseau, 2ème éd., n° 867, estimant que l’intervention des parties, dans le cadre d’une relation

contractuelle créant une connexité naturelle, exclut toute idée de fraude. Bien que nous n’ayons trouvé aucun arrêt en ce sens, il nous semble que cette opinion soit acceptable. A notre avis, elle doit être la seule, car il nous semble que l’intervention des parties, même antérieure à la cessation des paiements, pour créer une connexité conventionnelle, ne peut ôter à la compensation qui en résulterait durant la période suspecte son caractère frauduleux, sauf à entrer dans des distinctions subtiles assez malvenues.

institutions de la faillite. Il nous semble pourtant que certains points mériteraient d’être traités à part entière par la loi. C’est d’ailleurs l’orientation qui a été suivie dans un domaine particulier, qui forme aujourd’hui un véritable droit spécial de la compensation en matière de faillite. Ce droit spécial s’est forgé sur les marchés financiers, où les inquiétudes et les pressions des praticiens sont toujours plus fortes que dans le droit commun. Cette volonté de pouvoir bénéficier d’un régime légal de la compensation clairement dérogatoire au droit des procédures collectives est apparue dans plusieurs lois récentes, qui ont mis en place un système complexe peu soucieux de la finesse juridique de la matière. Il convient de dire quelques mots de ce droit spécial de la compensation pour pouvoir prétendre à l’exhaustivité dans cette étude des conditions de la compensation en matière de faillite.