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SEQUENCE 14 « Composantes sémiopicturale et sémantique »

7. Conclusion et perspectives

En regard de notre objet de recherche : « quelles sont les interventions à visée de régulation qui favorisent l’appropriation de l’entrée dans l’écrit ? », nous revenons maintenant sur nos constats et résultats, en étant bien conscientes du caractère limité de ladite recherche, effectuée pour notre mémoire de licence. En effet, nous avons analysé deux séances de lecture interactive et les productions en lecture et écriture émergentes de trois élèves, à deux moments distincts. Ce travail n’est donc pas de même envergure que la « recherche lecture/écriture émergente », ces analyses nous ayant néanmoins permis de tirer un certain nombre de constats.

Notre analyse microgénétique nous a permis d’identifier les composantes du savoir et les modalités des énoncés de l’enseignante et des élèves. Sur cette base, nous avons focalisé notre regard sur les interventions de l’enseignante pour remarquer que certaines de ses interventions de guidage, que nous avons définies comme « interventions à visée de régulation », cherchaient à permettre à l’élève la poursuite de sa propre réflexion sur l’écrit.

Cette réflexion sur l’écrit est relevée par plusieurs chercheurs, notamment Ferreiro (1988/200) et Besse (2000), comme étant un élément déterminant pour offrir des conditions optimales d’apprentissage de la langue écrite. En effet, Besse (2000) envisage l’apprentissage de la langue écrite comme une « appropriation ». Ce chercheur utilise

« appropriation » dans le sens « que l’enjeu est bien celui de la construction d’une relation personnelle à l’écrit » (p.26) qui est, selon lui, fondamentale pour mettre toutes les chances du côté de l’apprenant et éviter les échecs d’apprentissage dans ce domaine.

Par ailleurs, nous avons étudié la progression des élèves en lecture émergente à un pair pour constater que si ces élèves considèrent davantage l’écrit dans leur recherche de compréhension de l’histoire en fin d’année, ils font encore largement appel à leur mémoire pour raconter l’histoire à un pair. En outre, ces élèves évoluent de manière contrastée puisque seul un des trois élèves commence à déchiffrer en fin d’année.

Les productions écrites ont également montré une progression dans l’utilisation de stratégies de plus en plus élaborées, les élèves passant de la production de traces à une production de lettres progressivement organisées, sans toutefois atteindre la production de mots.

La mise en relation des progressions en lecture et en écriture émergentes nous a alors permis de situer plus finement nos élèves dans leur progression de l’acquisition de la littéracie pour constater que deux élèves sur trois ont pris conscience en fin d’année du fait que le système alphabétique permet de représenter une idée par écrit (phase Log 3), tandis que le troisième, déjà plus avancé que les deux autres en début d’année, a commencé à comprendre le lien entre les sons du langage oral et les lettres de l’alphabet (correspondance graphophonologique).

Enfin, nos constats montrent que les interventions à visée de régulation de l’enseignante amènent constamment les élèves à se recentrer sur les contenus de savoir (construction de sens par l’image et par le texte). Cela montre la maîtrise des gestes professionnels de l’enseignante qui parvient à conclure les séances de lecture interactives sur un contenu de savoir partagé. Ainsi, la sémiographie, qui était le savoir visé, devient savoir partagé entre l’enseignante et les élèves. Ce partage du savoir nous semble expliquer en partie la progression de nos élèves dans leur apprentissage de la langue écrite.

D’autre part, nous pouvons dire qu’arrivées au terme de notre recherche, nous avons pu mesurer la limite de notre démarche. En effet, nous ne voulions pas nous engager dans une recherche incluant la récolte de données sur le terrain car nous redoutions les difficultés liées aux aléas du quotidien de la vie d’une classe et de la mise en place d’une démarche de recherche dans ces conditions. Nous pensions ainsi pouvoir nous centrer davantage sur notre préoccupation, l’entrée dans l’écrit, car nous trouvons essentiel d’en maîtriser les fondements de manière approfondie afin de pouvoir mettre en place un enseignement adapté au besoin des apprenants.

Ainsi, nous avons décidé de nous appuyer sur les données de la recherche « lecture/écriture émergente ». Cependant, nous pouvons dire que nous avons finalement réalisé un travail relativement théorique. Nous avons, par exemple, passé beaucoup de temps à nous approprier la démarche mise en place par l’équipe de recherche de Madelon Saada-Robert.

n’avions pas élaborés nous-mêmes ? En effet, nous avons analysé nos protocoles avec les stratégies répertoriées par Elster (1994) et également utilisées par l’équipe de recherche

« lecture/écriture émergente ».

Nous avons également éprouvé des difficultés à nous distancier du cadre de la recherche

« lecture/écriture émergente » pour créer notre propre démarche. Aurait-il été judicieux de notre part de créer une stratégie complémentaire et de l’ajouter à celle que nous utilisions ? L’avantage de cette démarche aurait été que nous aurions eu moins de mal à situer les élèves avec une stratégie intermédiaire au passage de la sémiopicturalité à la sémiographie, une stratégie permettant le mélange de ces deux contenus de savoir ou du moins une stratégie autorisant les élèves à exploiter, mélanger les deux avant le passage à la stratégie supérieure. Ainsi nous ne nous serions peut-être pas heurtées à des divergences d’opinion.

Au vu de ces éléments, nous nous demandons maintenant si une prise de données n’aurait pas été plus utile à notre pratique, en ce sens que nous aurions eu nous-mêmes à appréhender la réalité pour ensuite la catégoriser afin de l’analyser pour mieux la comprendre.

Nous l’avons relevé, notre démarche a montré ses limites, mais nous avons tout de même pu acquérir un important bagage pour l’enseignement de la littéracie et nous pouvons dire qu’en nous focalisant sur les interventions à visée de régulation dans l’entrée dans l’écrit, nous avons examiné un point central de ce domaine, si nous nous référons à d’autres cours que nous avons suivis durant notre formation. En effet, les interventions de l’enseignante sont mises en évidence comme primordiales pour l’appropriation de la littéracie par de nombreux chercheurs que nous avons pu entendre sur l’apprentissage de la lecture.

Ainsi par exemple, Thérèse Thévenaz qui, dans son cours sur les méthodes de lecture, pointe l’importance de l’usage qu’en fait l’enseignant plus que la méthode elle-même. Elle relève en effet « qu’une méthode de lecture est ce que le praticien en fait, et qu’une seule et unique méthode ne se suffit pas à elle-même. Il est en effet préférable de varier les méthodes et les supports, pour apporter le maximum d’éléments bénéfiques à cet apprentissage qui n’est en aucun cas linéaire mais oscille entre stagnation, régression et progression » (cours du 25.05.2010).

Laurence Rieben (2004) relève pour sa part, que « la qualité de l’enseignement/apprentissage de la lecture ne peut en aucun cas reposer exclusivement sur

le choix d’un manuel de lecture, le meilleur soit-il. Celle-ci réside plus dans l’usage que saura en faire l’enseignant et avant tout dans les activités complémentaires qu’il saura choisir et ajuster aux besoins d’élèves particuliers » (p. 24).

Enfin, Roland Goigoux, qui sous forme de boutade lors de sa conférence intitulée

« didactique et psychologie au service d’une amélioration de l’enseignement de la lecture et de l’écriture », à l’Université de Genève, le 13 avril 2010, dit que ce qui l’intéresse avant tout dans les difficultés que peuvent rencontrer les enfants dans l’apprentissage de la lecture, c’est « le nom de la maîtresse »…

Ces points de vue abondent dans le sens de l’importance des gestes professionnels que nous avons mis en évidence par notre analyse microgénétique de l’interaction qui montre la part décisive de l’intervention de l’enseignante dans la construction du savoir.

Dans la perspective de notre future pratique, nous retiendrons de cette recherche l’importance de ne pas considérer l’apprentissage de la lecture comme une technique à acquérir mais bien comme une « appropriation » (Besse, 2000) de la langue dans ses aspects communicationnel, social et culturel. Cette appropriation repose en grande partie sur les gestes professionnels de l’enseignant.

Dans la perspective de notre future pratique, nous voudrions encore nous pencher sur la dictée à l’adulte qui nous semble comporter de nombreuses interventions à visée de régulation. En effet, « tout en écrivant, les relectures interactives avec l’enfant sont fréquentes, ainsi que des réflexions sur les propriétés de l’écrit comme la segmentation lexicale, le concept de lettre, de mots, de phrase, la correspondance graphème-phonème, etc. » (Saada-Robert et al., 2005). Cette démarche nous semble donc particulièrement intéressante à approfondir.

En refermant ce manuscrit, disons encore deux choses : d’une part, notre joie à l’idée