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qu’EADS est né d’une fusion complète de trois champions nationaux. Ce dernier peut donc être considéré comme « l’héritier légitime » d’EADC.

Reste maintenant aux gouvernements à créer le cadre approprié pour que les industries puissent pleinement exploiter leurs atouts. Pour l’instant, l’Europe de l’armement reste cependant un vaste chantier ; des éléments existent par ci par là, mais les architectes ont toujours du mal à s’accorder sur le plan de construction. Il n’existe pas d’approche commune et globale, les travaux des différents acteurs (LoI, OCCAR, GAEO, OAEO, Commission européenne, Polarm) ne sont guère coordonnés, et il n’y pas de discussion systématique sur l’ensemble. Les mauvais esprits estimeront que cet état des choses arrange les intérêts des pays clés qui préfèreront, quoi qu’il arrive, avancer seuls dans le cadre de l’OCCAR et de la LoI. Toujours est-il qu’une Europe à plusieurs étages, distinguant notamment les pays producteurs des pays acheteurs se dessine. L’heure de vérité sonnera en automne 2001 quand les ministres de la défense décideront d’appliquer ou non le plan directeur pour une Agence européenne de l’Armement, qui est actuellement élaboré par un groupe d’experts du GAEO.

Pour les pays producteurs, la redéfinition des relations avec l’industrie est indispensable. Elle représente pourtant un défi majeur, parce qu’elle concerne à la fois des questions politiques, stratégiques, militaires, financières et industrielles. Comme ces facteurs peuvent diverger, des tensions surgissent, qui provoquent des lenteurs et des contradictions. En tant que clients, par exemple, les gouvernements traitent les industries de défense de plus en plus comme des industries « normales ». En tant que régulateurs, par contre, ils insistent sur leurs prérogatives concernant les exportations, la sécurité d’information, etc. Dans un domaine qui se situe entre deux mondes fort différents – la défense et l’économie – de telles contradictions sont inévitables. Elles sont pourtant particulièrement prononcées aujourd’hui parce que les logiques gouvernant les deux mondes n’ont jamais été aussi différentes : tandis que tous les facteurs technologiques, financiers et économiques poussent les entreprises vers la globalisation, la défense reste toujours un domaine national. D’où les innombrables obstacles politiques et bureaucratiques qui compliquent le jeu industriel, obstacles qui seront pourtant progressivement érodés par les réalités économiques.

Le rôle des Etats comme clients, sponsors et régulateurs restera primordial, mais ils ne peuvent pas demander aux industries de s’adapter aux nouvelles conditions économiques et financières sans ajuster eux-mêmes leur politique. Il s’agit d’abord d’harmoniser les réglementations nationales et de créer un espace économique de défense (plus) homogène. Il faudrait ensuite mettre en place un système d’acquisition à la hauteur du nouveau paysage industriel, avec des solutions de plus en plus intégrées tout au long du processus. En outre, un financement stable des programmes, fondé sur des contrats pluriannuels, est indispensable pour que les entreprises puissent faire des offres satisfaisantes au client (prix ferme, performance et délais garantis, etc).

Des mesures rapides et efficaces dans ce sens s’imposent aussi parce que les entreprises dépendent désormais des marchés financiers : l’obligation de satisfaire les investisseurs (qui s’attendent aujourd’hui à des profits à court terme) est par définition délicate à respecter dans un domaine lié à la défense (où les investissements en R&D sont très importants et les cycles de production et de produits très longs). Tenant à une base industrielle de défense compétitive, les gouvernements ne doivent pourtant pas se désintéresser de ce que le cours des actions des entreprises reste stable ; la meilleure façon d’y contribuer serait sans doute de mener une politique d’acquisition et industrielle moderne.

La réforme des systèmes réglementaires et d’acquisition est d’autant plus urgente que les problèmes budgétaires en Europe risquent de persister : une augmentation substantielle des budgets de défense semble peu probable, et une large partie des moyens disponibles sera consacrée aux restructurations des forces armées. Les ressources qui restent pour l’équipement seront consommées en grande partie par l’acquisition de quelques grands programmes lancés avant même la chute du mur de Berlin. A court et à moyen terme, ces projets représentent, certes, d’importants facteurs de croissance pour les industries, mais les perspectives à long terme sont moins optimistes. Dans l’aéronautique, par, exemple, l’Airbus A 400 M et le Meteor sont les deux seuls nouveaux programmes dans un avenir prévisible.

Les fonds en R&T/D seront fortement réduits, ce qui risque de mettre en cause la compétitivité technologique de demain. Il faut espérer que cette situation mette les gouvernements sous pression afin que la redéfinition de leur politique d’armement soit rapide et innovatrice.

Pour l’industrie, les contraintes budgétaires en Europe représentent une raison supplémentaire de poursuivre la globalisation. Dans ce contexte, les relations transatlantiques sont essentielles : accéder au marché le plus important du monde et au savoir-faire technologique des géants américains est en effet un enjeu majeur pour les groupes européens. Ces derniers disposent maintenant de la taille, des technologies et de la puissance pour obtenir des partenariats transatlantiques équilibrés et à droits égaux.

Pourtant, de multiples contraintes politiques et réglementaires limitent les perspectives transatlantiques :

il y a très peu de programmes communs parce que les planifications militaires ne sont pas coordonnées et que l’harmonisation des besoins fait défaut ;

les possibilités de ventes directes sont très limitées, pour des raisons législatives (« Buy-American » restrictions) et parce que les militaires américains refusent l’idée de dépendre du matériel qui n’est pas exclusivement made in USA ;

tout un dispositif réglementaire s’oppose aux Etats-Unis à la prise de contrôle d’une entreprise américaine liée à la défense par un investisseur étranger ;

des restrictions importantes entravent le transfert technologique entre les entreprises américaines et étrangères ;

le Congrès et certaines branches de l’Administration s’opposent à toute tentative de lever les barrières politiques et juridiques108.

L’état actuel de l’industrie américaine confirme cette perspective plutôt pessimiste : d’abord, les grands groupes américains manquent d’expérience internationale. Ils sont très actifs dans les exportations, mais ne sont pas habitués à nouer des partenariats durables et équilibrés avec des entreprises étrangères. Ensuite, Lockheed, Raytheon et Boeing ont tous d’énormes problèmes pour digérer les nombreuses acquisitions et fusions qu’ils ont effectuées ces dernières années. Par conséquent, leur management sera sans doute davantage préoccupé par les difficultés internes que par des visions transatlantiques. Enfin et surtout, les crises de croissance ont provoqué une chute dramatique des valeurs en bourse qui réduit sensiblement les options

108 Voir Robert Grant, « Transatlantic Armament Relations under strain », dans Survival, vol. 39, n. 1, printemps 1997, pp. 111-137.

stratégiques des géants américains. L’objectif majeur sera de reconstituer la confiance des investisseurs, et Wall Street a toujours été sceptique sur les liens transatlantiques109.

Cela ne veut pas dire qu’un renforcement des liens transatlantiques soit exclu. Cependant, au niveau des grands systémiers, il se fera plutôt par des coopérations dans certains domaines très précis. L’adhésion de Boeing au consortium Meteor110, ainsi que les discussions des partenaires EADS avec Lockheed et Northrop Grumman sur la coopération concernant respectivement les avions de mission et l’électronique de défense vont dans ce sens111. La coopération transatlantique avancera sans doute plus vite entre les fournisseurs de deuxième et troisième niveau. Etant moins visibles, ces derniers peuvent nouer des alliances sans faire la une des grands journaux et provoquer les sensibilités nationales. L’importance accrue des technologies civiles pour les producteurs de sous-systèmes et de composants encouragera encore ce développement112.

Pour les Européens, les grands groupes américains ne sont pas seulement des partenaires intéressants, mais aussi de bons objets d’étude. En examinant l’expérience des concurrents, les champions européens pourraient éviter quelques erreurs fatales pour leurs propres fusions : la crise de Boeing, Lockheed et Raytheon montre en effet combien il est difficile d’exploiter les synergies envisagées et de réaliser l’intégration sans négliger le déroulement des programmes113. Toujours est-il que les fusions en Europe ne seront pas plus faciles à gérer que celles aux Etats-Unis. BAE Systems doit encore donner la preuve du bien-fondé d’une intégration verticale, EADS doit assumer à la fois les défis liés à la transnationalité et les problèmes « normaux » de la fusion. La leçon principale de l’expérience américaine est claire : être grand ne suffit pas pour être compétitif.

109 Voir Andrew James, « Post-Merger Strategies of the Leading US Defence Aerospace Companies: Lessons for Europe? », op. cit. dans note 21, pp. 68-82.

110 Les Echos, 20 octobre 1999.

111 La Tribune, 18 juin 1999, Le Monde, 18 juin 1999, Jane’s Defence Weekly, 23 juin 1999, Les Echos, 26 avril 2000, Military Technology, Vol. XXIV, issue n. 3, 2000, pp. 94-56.

112 Voir Andrew James, « Medium Sized Defence Electronics Companies and US Industry Restructuring », Report to FOA, Stockholm, février 2000.

113 Voir Andrew James, op. cit. dans note 32.