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L’engagement d’Alexandre Berenstein atteste de l’existence d’un réseau militant qui connecte les organisations socialistes, syndicales et les structures d’éducation ouvrière. Alexandre Berenstein est principalement connecté à ce réseau durant les décennies 1940, 1950. Les organisations du réseau militant ont pour dénominateur commun la défense et l’élévation des travailleurs, que ce soit sur le plan éducatif ou politique. Le réseau militant manifeste une forte implantation locale et est marqué par la division culturelle et linguistique propre à la Suisse. À l’exception de ses engagements au comité central et à la commission de politique sociale du PSS, Alexandre Berenstein évolue dans un univers culturel militant romand. Néanmoins, le caractère fédéral de l’USS et du PSS montre que le réseau est intégré ou du moins connecté de manière transculturel à l’échelle nationale. On peut s’étonner que l’engagement d’Alexandre Berenstein dans ce réseau militant d’après-guerre ne soit pas spécifiquement transnational, alors que le socialisme d’Alexandre Berenstein est avant tout internationaliste pendant l’entre-deux-guerres et que le PSS et l’USS sont membres de fédérations internationales. L’engagement militant d’Alexandre Berenstein à l’échelle internationale après la Seconde Guerre mondiale se fait au sein des organisations internationales, en particulier l’OIT et le Conseil de l’Europe, et non plus au sein de l’Internationale Socialiste, refondée en 1951, qui est incapable de redevenir est un acteur politique influent sur la scène internationale.370

Les organisations de ce réseau sont articulées de différentes manières. Entre échelles, les partis socialistes cantonaux et les organisations syndicales entretiennent un lien organique et statutaire à leur organisation faîtière. De plus, les revues et encore plus les journaux sont des vecteurs importants de connexion romande du réseau. Les principales revues sont Le Socialisme démocratique et la Revue syndicale suisse tandis que les journaux Le Peuple et La Sentinelle, respectivement pour Genève et Vaud et pour Neuchâtel et le Jura, qui fusionnent en 1966, assurent la présence quotidienne d’une presse socialiste jusqu’en 1971.371

369 BGE, 2001/25, 8B. Lettre d’Alexandre Berenstein au comité de l’ASPS, 29 octobre 1994.

370 Raimund Seidelmann, « 7 - Le renouveau de l’Internationale Socialiste (1972-1981) », Hugues Portelli (éd.), L'Internationale Socialiste, Paris, Éditions de l'Atelier (programme ReLIRE), 1983, pp. 101-136.

371 Marc Perrenoud, « La Sentinelle », Dictionnaire historique de la Suisse, version du 25.04.2013.

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À l’échelle nationale, le PSS et l’USS travaillent en étroite collaboration. Ils défendent peu ou prou les mêmes revendications et se soutiennent mutuellement comme on le constate avec le soutien que l’USS apporte aux deux initiatives socialistes (et non aux initiatives des partis bourgeois ou du Parti du Travail sur le même sujet) lancées en 1969 pour une meilleure assurance maladie et pour les pensions populaires.372 À l’échelle locale, les liens sont non seulement politiques mais peuvent également être de nature sociale par la circulation des individus dans certains espaces. Ainsi, les espaces d’éducation ouvrière et de formation syndicale au sein desquelles Alexandre Berenstein est actif sont des lieux de circulation entre les organisations qui offrent des opportunités de rencontre. En 1949, un syndicaliste de la Fédération suisse des typographes dit à Alexandre Berenstein : « nous nous rencontrerons certainement au prochain cours de Sonloup organisé par l’Union syndicale suisse. »373 Le programme de l’Université ouvrière de Genève pour les mois de février et mars 1947 contient, outre un cours d’Alexandre Berenstein sur la Constitution de la France, un cours du syndicaliste de l’USS Jean Möri et un cours du socialiste genevois André Oltramare.374 L’Université ouvrière de Genève se présente comme un espace de connexion entre organisations et échelles grâce à la personnalité et l’identité socialiste des deux Berenstein.

Le réseau militant est en effet tendu et soutenu par une sociabilité puissante et sous-terraine : la camaraderie socialiste. Même si le socialisme et le mouvement ouvrier sont en voie d’intégration accélérée en Suisse après la Seconde Guerre mondiale et ne constituent plus un mouvement social en opposition frontale aux classes dirigeantes, on constate la subsistance de cette sociabilité caractéristique dans le fonctionnement du réseau militant. Le fait de se reconnaitre comme

« camarade », socialiste ou du moins défenseur des travailleurs, crée un lien de proximité et de confiance qu’il ne s’agit pas de montrer mais qui justifie a priori l’entraide. Cette marque d’appartenance à un même camp militant se manifeste explicitement dans la correspondance par la salutation « cher camarade » qui est extrêmement fréquente dans les papiers personnels d’Alexandre Berenstein. Le partage de documents confidentiels entre Möri et Berenstein s’inscrit dans cette camaraderie tout comme les relations personnelles et les services mutuels qu’entretiennent Berenstein et les conseillers fédéraux socialistes Pierre Graber et Pierre Aubert dans le cadre de la ratification de la charte sociale européenne.375 En 1964, Jean Ziegler active au maximum la

372 BGE, 2001/25, 2B. « Création de pensions populaires et assurance maladie meilleure », Journal de Genève, 13-14 décembre 1969.

373 BGE, 2001/25, 2C. Lettre d’un syndicaliste de la Fédération suisse des typographes à Alexandre Berenstein du 5 octobre 1949.

374 BGE, 2001/25, 2C. Programme de l’Université ouvrière de Genève pour les mois de février et mars 1947.

375 BGE, 2001/25, 3.

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camaraderie socialiste dans une lettre à Alexandre Berenstein dans laquelle il désespère de ne pas voir sa carrière académique décoller :

Sur qui, en Suisse, dans les universités romandes, je peux compter si le seul Doyen socialiste, qui avec moi partage une profonde communauté de pensées, ne me soutient pas ? Sur qui ? (…) Ne me tenez pas rigueur de cette lettre.

Je crois au socialisme, au parti et au sens profond du mot « camarade »376

En 1949, la Centrale suisse d’éducation ouvrière recours également à cette logique d’entraide entre défenseurs des travailleurs. Elle demande l’avis Alexandre Berenstein concernant un certain Monsieur Bouvier, bibliothécaire à l’Université de Genève. Le comité de la Bibliothèque pour Tous, institution d’éducation ouvrière, devant élire un nouveau président, la Centrale souhaite savoir si Monsieur Bouvier serait plus à même d’être « un homme aux idées plutôt libérales » qu’un autre candidat, Monsieur Chevallaz, « bon catholique et directeur d’un séminaire à Fribourg. »377

376 BGE, 2001/25, 4. Correspondance adressée à Alexandre Berenstein par Weigle Marguerite et Ziegler Jean, 1963-1964.

377 BGE, 2001/25, 2C. Lettre de la Centrale suisse d’éducation ouvrière à Alexandre Berenstein, 8 septembre 1949.

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