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Le terme « ciliopathie » étymologiquement « cil » et « pathos », désignant la maladie, regroupe un ensemble de maladies dues au dysfonctionnement des cils primaires ou motiles. Ces petits organites, issus de la polymérisation de microtubules depuis le centriole père du centrosome, sont impliqués dans la transmission de signaux à la surface de la plupart des cellules différenciées et possèdent également un rôle, pour les cils motiles, de génération de mouvement fluidique. Historiquement, c’est en 1976 qu’est reconnue la première ciliopathie, la dyskinésie ciliaire primitive (PCD) (Afzelius, 1976). Afzelius et al découvre alors l’existence des bras de dynéine des cils motiles et leur implication dans le mouvement ciliaire. Il a mis en évidence leur absence dans les flagelles des spermatozoïdes de quatre hommes infertiles, rendant le mouvement flagellaire impossible. Cette absence de mouvement flagellaire des spermatozoïdes compte alors parmi les symptômes d’un syndrome plus général, mis en évidence 40 ans plus tôt par Manes Kartagener qui lui donnera son nom. Le syndrome de Kartagener se présente comme une bronchectasie associée à un situs inversus et des sinusites chroniques (Gupta et al., 2013). Ainsi, le premier lien entre cil et pathologie, alors nommé «syndrome des cils immotiles », a été établi. Ce n’est que plus tard que la cause du situs inversus de ce même syndrome fut mise en exergue avec la découverte du rôle des cils du nœud embryonnaire. En effet, la mutation d’une sous-unité de la kinésine 2 (gène

Kif3b) conduit à un défaut de latéralisation des organes chez la souris. Alors connue pour son

implication au niveau du cil motile, la kinésine a permis la découverte du rôle des cils du nœud embryonnaire dans la génération du flux nécessaire à la latéralisation des organes lors du développement (Nonaka et al., 1998). Un an plus tard, ces travaux ont conduit à la découverte de la première mutation humaine induisant une PCD dans le gène DNAI1 (Pennarun et al., 1999). C’est au cours de cette même année que le premier lien entre ciliopathie et rein est établi, faisant état de la localisation du produit du gène lov-1, orthologue du gène PKD1 humain codant la polycystine-1 (PC1), au niveau du cil primaire de neurones sensoriels de C.elegans (Barr and Sternberg, 1999). Maureen Barr suggère que le gène PKD1, alors reconnu pour son implication dans les polykystoses rénales, aurait un rôle ciliaire dans le développement de la polykystose autosomique dominante (ADPKD) du fait de l’importance de PC1 dans les fonctions du cil des neurones sensoriels. En 2000, la découverte de défauts de cils primaires au niveau de cellules tubulaires rénales des souris mutées pour le gène Tg737, et exhibant une polykystose rénale, va permettre une avancée capitale dans la compréhension du rôle du cil primaire dans les pathologies rénales. Tg737, homologue murin du gène humain IFT88, code une protéine du transport intraflagellaire

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30 | P a g e (IFT) et est indispensable à la ciliogenèse (cf Le transport intraflagellaire). L’étude d’une mutation faux-sens de Tg737 chez la souris montre une réduction de la ciliogénèse, tant par le nombre de cils que par leur taille, entrainant une létalité précoce dûe à des reins kystiques (Pazour et al., 2000), tandis que la déplétion totale du même gène dans le modèle murin Tg737∆2-3βGal conduit à un phénotype bien plus sévère avec situs inversus (SI), défauts de développement du tube neural et une létalité embryonnaire (Murcia et al., 2000). En effet, la déplétion de Tg737 conduit à un phénotype comparable au phénotype causé par les mutations de Kif3b (létalité embryonnaire, sévères défauts développementaux et de définition de la latéralité), confirmant ainsi le situs inversus (SI) comme un phénotype ciliaire (Murcia et al., 2000; Nonaka et al., 1998) (cf Hétérogénéité phénotypique, une relation phénotype-génotype). Le diagnostic clinique facilitant le diagnostic génétique et inversement, le SI, en tant que signe clinique de ciliopathies, sera la base de la découverte de nombreux gènes ciliaires. D’autres part, l’étude des phénotypes associés au SI a permis l’élargissement du spectre des phénotypes rénaux, allant des reins polykystiques avec la découverte du gène

BBS8 impliqué dans le syndrome de Bardet Biedel (BBS) (Ansley et al., 2003), à la NPH

infantile avec la découverte de mutations dans le gène INVS codant l’inversine (Simons et al., 2005), alors déjà connu chez la souris (Mochizuki et al., 1998). C’est à partir de la découverte de mutations dans le gène INVS alias NPHP2, et de la localisation de l’inversine au cil primaire des cellules tubulaires rénales, ainsi que de son interaction avec d’autres protéines déjà impliquées dans la NPH (NPHP1, NPHP3 et NPHP4), que la NPH se révèle être une ciliopathie (Morgan et al., 2002; Otto et al., 2003). Dès lors, un nombre croissant de pathologies, notamment rénales, neurologiques ou encore développementales, déjà mises en évidence ou nouvellement caractérisées, vont venir allonger la liste des ciliopathies grâce à l’identification des gènes causaux, démontrant soit la localisation au cil primaire du produit des gènes mutés soit leur implication dans la fonction ciliaire.

Finalement, les ciliopathies regroupent un ensemble de syndromes aux atteintes multisystémiques touchant notamment la rétine, le vermis cérébelleux, le squelette, mais aussi le foie, retrouvé dans plus de 30% des cas comportant une atteinte rénale. Il est toutefois intéressant de noter que, malgré une faible prévalence de chacun de ces syndromes, regroupés sous le terme de "ciliopathies", leur cumul en fait des affections plus fréquentes puisqu’elles représentent 1 naissance sur 2000.

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I.1. Aspects cliniques

I.1.1. La néphronophtise

En 1945, Graham et Smith décrivent pour la première fois, sous le nom de maladie kystique de la médullaire rénale (MCKD), un ensemble de maladies génétiques reliées par des caractéristiques similaires, notamment la présence de fibrose rénale interstitielle et la présence de kystes dans la médullaire dont l’évolution se fait inéluctablement vers l’insuffisance rénale terminale (IRT). La MCKD a depuis été renommée ADTKD (maladie rénale tubulo-interstitielle autosomique dominante) afin de mettre plus en avant les caractéristiques de la maladie. En 1951, Fanconi distingue la néphronophtise (NPH) de la ADTKD selon 3 critères : le mode de transmission (récessif dans le cas de la NPH et dominant pour la ADTKD), le type d’organes extra-rénaux impliqués (dégénérescence rétinienne chez la NPH; hyperuricémie chez l’ADTKD), et enfin l’âge d’apparition de l’insuffisance terminale (durant l’enfance pour la NPH versus à l’âge adulte pour la ADTKD). Cette dernière caractéristique permet alors de distinguer trois différentes formes de NPH : la NPH infantile, la NPH juvénile et la NPH tardive. La NPH est reconnue comme une des causes génétiques les plus courantes d’insuffisance rénale terminale (IRT) chez l'enfant, avec 10 à 20% des cas d’IRT chez les enfants (Cantani et al., 1986; Salomon et al., 2009). Bien qu’il s’agisse d’une maladie rare, la NPH juvénile est la forme la plus commune de la maladie, avec une incidence variant de 0,13 sur 10 000 naissances en Finlande et 1 sur 50 000 naissances au Canada à 9 sur 8,3 millions de naissances aux Etats-Unis (Hildebrandt and Zhou, 2007; Pistor et al., 1985; Potter et al., 1980). On notera de façon intéressante que le gène

NPHP1 est muté de façon homozygote chez 0,5% des patients présentant une insuffisance

rénale terminale à l’âge adulte (Snoek et al., 2018).

I.1.1.1. Clinique de la néphronophtise

Cliniquement, la NPH se traduit, dans un premier temps, par une polydipsie et une polyurie, soit une augmentation du volume d'absorption de liquide due à une soif excessive associée à une augmentation du volume des urines. La polyurie est caractérisée par l’importance de la diurèse (supérieure ou égale à 3 litres chez l’adulte contre 1,5 litre pour un individu sain). Le volume d’urine excrété (VE) peut être généralisée comme étant la résultante du volume d’urine filtrée (VF) au niveau glomérulaire associée au volume d’urine sécrétée au niveau tubulaire (VS) moins le volume réabsorbé (VA), que l’on peut écrire VE=(VF+VS)-VA. La polyurie est expliquée par l’impossibilité du rein dysfonctionnel à concentrer les urines (défaut de sécrétion tubulaire) associée à une faible réabsorption du

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32 | P a g e sodium au niveau des tubules rénaux, tandis que le volume de filtration glomérulaire reste physiologique (Gusmano et al., 1998) (cf Figure 1: Anatomie du Rein).

La polydipsie est la conséquence de la polyurie ; c’est un mécanisme compensatoire visant à diminuer la déshydratation occasionnée par la polyurie. Des symptômes secondaires peuvent être associés à la NPH, comme une hypovolémie sanguine ou une hyponatrémie, engendrée par le défaut de réabsorption de sodium au niveau du rein. L’apparition de l’IRT, souvent élément déclencheur du diagnostic, entraîne l’aggravation des symptômes qui se traduisent pas une anémie, due à la baisse de production d’érythropoïétine par le rein, une acidose métabolique due à l’augmentation de déchets acides, mais aussi une anorexie pouvant être expliquée par un dérèglement hormonal général. On notera que l’apparition de la protéinurie se fait généralement à la suite de l’IRT.

Figure 1: Anatomie du Rein

La coupe sagittale du rein montre la forme des principales parties du rein: le cortex, la medulla et le pelvis rénal qui collecte les urines dans l’urètre conduisant à la vessie. Les néphrons sont principalement formés de 2 parties : le glomérule où le sang est filtré et les tubules rénaux où l’urine est formée. Les tubules rénaux sont constitués d’un segment proximal, de la partie descendante et ascendante de l'anse de Henlé et d’un segmental distal suivi du tube collecteur. Adapté du manuel Merck.

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I.1.1.2. Histologie

L’étude de Graham et Smith ayant permis la classification de la MCKD est principalement basée sur l’histologie particulière du rein. Bien que les reins pathologiques puissent paraître de taille normale à l’échographie, on observe souvent une hyperéchogénicité du parenchyme rénal associée à une dédifférenciation cortico-médullaire, caractéristiques de la NPH. Dans certains cas et à des stades avancés de la maladie, les reins peuvent exhiber la présence de kystes médullaires, même si ces derniers restent de taille réduite (Aguilera et al., 1997; Blowey et al., 1996). Les caractéristiques particulières des reins NPH se retrouvent davantage au niveau interstitiel, où une fibrose massive se développe, entraînant parfois quelques infiltrats de cellules immunitaires. Les atteintes tubulaires sont également importantes et variées, observables en microscopie optique. On observe aussi bien des tubules atrophiés que des tubules dilatés et collabés. La lame basale de ces tubes apparaît généralement feuilletée et plus ou moins épaissie, ou bien encore détériorée ou absente par endroit (Zollinger et al., 1980). Ces défauts de la lame basale sont retrouvés plus fréquemment dans la NPH que dans d'autres tubulopathies, et sont un des aspects histologiques permettant de distinguer la NPH des autres néphropathies tubulo- interstitielles.

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Figure 2: Reins normaux et pathologiques

Les reins de patients atteints de néphronophtise présentent une importante fibrose interstitielle, des tubes atrophiques cernés par une membrane basale tubulaire épaissie (flèches) et d’autres tubes dilatés. Ils sont de tailles comparables aux reins normaux contrairement aux reins polykystiques dont la taille est grandement augmentée par la présence de kystes (pointe de flèche), dans le parenchyme.