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CONTEXTE DE LA LANGUE : LA LANGUE SITUÉE (1940-1953)

1. Choix massif : maréchalisme/pétainisme

La confiance pour le maréchal Pétain fut largement partagée, dans les premières années de la captivité, par les P.G. Leur opinion se différencie relativement peu de l’opinion des Français métropolitains : sympathie envers le Maréchal et méfiance, voire opposition à ceux qui l’entourent. Pour Yves Durand, « si la personne du Maréchal est très largement objet d’adhésion positive de la part de la masse des P.G., la collaboration, en revanche, est d’emblée et constamment quasi unanimement rejetée. »218 Jean-Bernard Moreau précise que les critiques — tout autant que les marques de soutien — des officiers visant l’entourage de Pétain sont souvent dirigées sur les actions et non sur les personnes. Pour Pétain, au contraire, la confiance semble tout entière ramassée sur la personne du Maréchal dont le passé fonctionne alors comme une garantie de l’avenir : ce qu’il a fait à Verdun, il peut le refaire pour la France défaite219. Un rapport de l’oflag IV D indique :

Le début de la captivité a révélé une extrême confusion dans les esprits. Les P.G. ont mis plusieurs mois à réaliser l’ampleur de la défaite et la profondeur de l’effondrement. La très grande majorité des prisonniers voit en la personne du maréchal Pétain un sauveur quasi providentiel qui incarne l’espoir du relèvement de la France.220

C’est bien la personne du Maréchal qui attire la confiance des P.G. : son physique, son aura, son histoire, plus que ses actions présentes. Faut-il parler pour autant à ce propos de maréchalisme plutôt que de pétainisme (qui serait l’adhésion à l’idéologie de la Révolution Nationale)221 ? Yves Durand soutient que cette adhésion à Pétain une « forme de patriotisme mal éclairé qui se réfère à Pétain simplement parce qu’il représente officiellement la France » et pense que si elle a duré plus longtemps dans les camps qu’en France métropolitaine, c’est que le maréchalisme fut idéalisé, dans le « vase clos » mal informé des camps.222 Cette distinction peut être utile pour 218 Yves DURAND, La vie quotidienne…, op. cit., p. 211.

219 Jean-Bernard MOREAU, op. cit., pp. 419-420.

220 Rapport de captivité du colonel Cohade, rapatrié de l’oflag IV D en novembre 1941 ; cité par Jean-Bernard MOREAU, op. cit., p. 420.

221 Cette distinction est due à Jean-Pierre Azéma, dans son ouvrage De Munich à la libération, Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1979, pp. 106-107.

appréhender la ligne de partage que les P.G. établissent entre la politique de collaboration et l’entreprise de redressement de la France, incarnée par la haute valeur morale du Maréchal. Dire que tous les Français, parce qu’ils appréciaient l’air tranquille et sage du Maréchal, étaient dès lors tous profondément réactionnaires et antisémites, ou bien des apôtres de la contrition et du retour à la terre, serait une erreur de compréhension de l’opinion publique : l’empathie pour une personne ne signifie pas une empathie pour ses idées, et inversement. Un homme n’est pas réductible à ses actes ou ses idées, et des actes ou des idées arrivent à exister par-delà des hommes qui les incarnent.

Toutefois, la distinction maréchalisme/pétainisme dissimule, dans le cas particulier des P.G., un élément idéologique important. Car l’une des raisons les plus fréquentes — encore une fois, surtout chez les officiers parce que les militaires, par tradition, ont tendance à se méfier des hommes politiques — de la confiance accordée à Pétain réside dans le sentiment qu’il ne fait pas de politique, mais ne cherche sincèrement que le bien de la France et des Français. L’idéal (formulé avec une grande précision et une grande clarté par Jean Guitton) d’une nation unie par-delà les divergences idéologiques est, je le montrerai, une grande constante chez les P.G. et dans leurs récits de captivité. Pétain se revendique comme une personnalité dont l’action se situe par-delà le/la politique, et il est souvent perçu comme tel. C’est bien sûr ici une stratégie profondément idéologique, qui dissimule sa véritable nature. Car dans quoi a-t-on confiance, lorsqu’on est maréchaliste plutôt que pétainiste ? Dans la blanche moustache et dans le bleu regard ? Comme celle de René Benjamin, notre jouissance est-elle capable d’advenir à la seule vue des sept étoiles de la veste du Maréchal ?223 A-t-on aimé de la même manière le nez et la casquette du général de Gaulle ? Où s’arrête la personne du Maréchal ?, où commence le pétainisme ?

Dès lors, il me semble que la distinction maréchalisme/pétainisme permet de comprendre le positionnement, conscient, des Français entre 1940 et 1945 ; mais elle ne permet pas de saisir la circulation idéologique qu’autorise la confiance dans le seul Maréchal. Pour le dire autrement, c’est un leurre de penser qu’en étant 223 « Je me suis trouvé un jour tout seul avec son manteau [celui du Maréchal]. Oui, son manteau, qui négligemment reposait sur

un fauteuil, dans son bureau de travail. Et c’est pour moi une histoire magnifique… Je fus saisi. Or il me semble bien que tout de suite je suis devenu immobile comme lui, parce que tout de suite m’est apparu que les sept étoiles brillaient, tels les sept rayons de la sagesse dont parlent les Anciens. » (René BENJAMIN, Les sept étoiles de France, Paris, Plon, 1942.)

seulement maréchaliste on n’est pas aussi pétainiste : penser le Maréchal en-dehors de son inscription idéologique, c’est précisément souscrire à l’idéologie pétainiste. Pour les P.G., la question est d’autant plus sensible que Pétain soutient moralement et matériellement les P.G., notamment grâce aux « colis Pétain ». D’autre part, il existe en captivité quelques anciens de la Grande Guerre qui ont voulu rester fidèle au « vainqueur de Verdun ». Mais ces aides et cette nostalgie d’un chef glorieux provoquent-elles toujours en retour une adhésion totale à la Révolution Nationale ? Rien n’est moins sûr, au vu des divers engagements des P.G. au cours de la captivité. C’est pourquoi il me semble plus utile de distinguer avec Yves Durand un pétainisme « actif » d’un pétainisme « passif » — la différence entre les deux se situant au niveau d’une conscience des idées de la Révolution Nationale.

Jean-Bernard Moreau a observé les positionnements politiques des officiers P.G., à travers leurs courriers et les rapports faits sur les différents camps.224 Il en dégage plusieurs attitudes, inscrites dans le cours de la captivité. Jusqu’en novembre 1942 la confiance en Pétain est très forte chez les officiers. Le succès des « cercles Pétain » entre l’été 1941 et l’été 1942 est un signe fort d’engagement pétainiste, et de soutien particulier à l’idéologie de la Révolution Nationale : dans 85 % des oflags, la majorité des officiers y participent. En novembre 1942, les premiers signes de dissension se font sentir : les Alliés débarquent en Afrique du Nord, la zone libre est envahie, l’armée d’armistice est dissoute. En outre à partir de juillet 1942, Pétain déclare ouvertement son soutien à Laval, et donc à la politique de collaboration. Le contrecoup se fait progressivement sentir et en 1943, les marques de loyauté sont moins nombreuses que les années précédentes : dans certains oflags, des officiers refusent de participer au défilé du 1er mai, traditionnellement offert au Maréchal.225

La chute de confiance se poursuit entre 1943 et 1944, tandis qu’augmente chez les P.G. la crainte d’une guerre civile en métropole. Toutefois en décembre 1944, on trouve encore peu dans les courriers de propos hostiles ou défavorables à Pétain ; les officiers s’en tiennent plutôt à une attitude de neutralité. La vérité est que les courriers parlent de moins en moins de Pétain. Il s’agit moins d’une disgrâce que d’un oubli. L’heure est à d’autres priorités. Les P.G. sont particulièrement inquiets 224 Jean-Bernard MOREAU, op. cit., pp. 498-511.

pour leurs familles ; ils sentent la libération de plus en plus proche, ce qui suscite en eux beaucoup d’espoir, bien que leurs conditions de vie ne cessent de se dégrader, l’Allemagne ne se chargeant plus de l’acheminement des colis en provenance de France.

Jean Guitton, chantre exemplaire de la Révolution Nationale

Pour illustrer ces considérations générales sur le pétainisme des P.G., je choisis ici de n’étudier qu’un seul cas, exemplaire tout autant par sa radicalité que dans le modèle qu’il propose : celui de Jean Guitton. Guitton est un cas particulier, d’abord par la maîtrise rhétorique et intellectuelle dont font preuve son Journal de captivité et ses Fondements de la communauté française, publiés tous deux alors qu’il était encore en captivité. Tous les captifs ne sont pas comme lui, ancien élève de l’École Normale Supérieure (Ulm), étudiant en Sorbonne, agrégé de philosophie et enseignant à l’Université de Montpellier. Tous non plus ne cultivent pas une foi pieuse ne rechignant ni à l’interrogation métaphysique, ni à son application politique. Tous enfin, n’ont pas publié un programme (les Fondements), préfacé par le maréchal Pétain, et proposant de formuler une doctrine métaphysique et politique pour la Révolution Nationale. Guitton représente sans doute le P.G. modèle pour la Révolution Nationale : celui qui jamais ne désespère ni ne cède à la mélancolie ; celui qui, chrétien, souscrit bien volontiers aux incitations de purification ; celui qui, par les talents qui lui furent donnés, œuvre, dévoué, pour son pays ; celui qui, par son travail, porte à son plus haut point l’esprit français et le fait rayonner au sein de la communauté française et face à ses vainqueurs.

Le souci politique est une constante des textes de Guitton écrits en captivité. Dans son Journal de captivité, il rend compte de discussions avec des camarades de l’oflag IV D (Münster). Ceux-ci n’ont pas le même avis que lui sur l’état de la France, la politique du Maréchal et les relations franco-allemandes, mais le dialogue demeure possible :

Il part toujours de ce sophisme que la solution de tout le problème France est dans le triomphe de A et l’anéantissement de B. Ses puissances de haine et d’amour y ont leur emploi. Il se sert de sa haine contre B. et de son amour pour A. Mais il ne reste plus en lui aucune énergie pour la France.226

Avec V., Guitton passe de longues conversations à parler du rôle des instituteurs dans la Révolution Nationale.227 À l’oflag IV D, Guitton est un interlocuteur privilégié, parce qu’il anime avec ferveur un Centre d’Étude sur la Révolution Nationale. Il y propose régulièrement conférences et réflexions communes. Le 24 février 1942 par exemple, il présente une conférence sur Péguy, où il parle du triple idéal « social, national, spirituel ».228 Le 21 mars 1941, il organise une discussion entre quelques P.G. français et des Allemands de la « Commission psychologique » mise en place par les nazis dans les camps de prisonniers. La discussion est là encore courtoise et posée : les Allemands parlent d’abord, exposant leur point de vue sur les relations franco-allemandes :

« […] Les Alliés ont commis bien des fautes en 1918. Ainsi, ils se sont souvent appuyés en Allemagne sur les éléments socialistes, révolutionnaires ou sur des autonomistes comme en Rhénanie. C’était une maladresse. Comment fonder quelque chose de solide dans un pays vaincu en favorisant les éléments suspects au sentiment national, et les partis qui, jusqu’alors, vivaient dans la pénombre et qui vont devoir à la détresse de tous leur soudaine émergence ? »

« Fatalement, ces partis ou ces hommes paraîtront grandis sur les ruines du désastre (comme les séparatistes rhénans) et ils seront odieux aux vrais patriotes. Dans une grande nation vaincue, le sentiment national, parce qu’il ne peut plus s’exprimer ni se repaître, devient vite quelque chose de susceptible et de farouche. Et il convient d’éviter tout ce qui peut le froisser ou le faire gémir. Je dis cela à la fois pour vous et pour nous. »229

À ce moment de la conversation, Guitton reprend la parole, et avec la maîtrise rhétorique dont il sait si souvent faire preuve, réussit à établir une ligne de partage entre le National-socialisme et la Révolution Nationale :

« Il se peut donc que la défaite de 1940 et la méditation sur les causes du relèvement de l’Allemagne nous aient incités à nous rénover. Cette rénovation est cependant bien française. Elle est un retour à nos traditions les plus profondes et les plus saines, et non pas une imitation de l’étranger. Les mesures radicales qui seraient prises chez nous par mimétisme, je vous prédis qu’elles n’auraient pas de racines. »230

226 Jean GUITTON, Pages brûlées. Journal de captivité 1942-1943, Paris, Albin Michel, 1984, p. 77 (première édition : Montaigne, 1943). L’édition de 1984 n’a pas subi de modifications par rapport à celle de 1943, si ce n’est la préface qu’y ajoute Guitton.

227 Ibid., pp. 109-119.

228 Ibid., p. 31.

229 Ibid., pp. 130-131.

L’habileté rhétorique de Guitton lui permet de rester en bons termes avec les Allemands, tout en posant les bases d’un autoritarisme à la française. Les répliques polies qu’il échange avec les officiers sur l’irréductibilité des destins nationaux témoignent de son désir de préserver une certaine « exception française ». Sur ce point, les Fondements sont clairs et font parfaitement écho au Journal :

La France n’a pas besoin d’emprunter au delà de ses frontières le modèle de sa réforme. Elle possède ce modèle en elle-même, à condition qu’elle accepte de prendre conscience de sa tradition profonde.231

En donnant ainsi à la France une tradition et une identité, Guitton dessine pour son pays un chemin d’équilibriste entre le danger internationaliste (qu’il soit juif, communiste ou gaulliste) et l’hégémonie nazie. Dans l’étau de ces deux influences étrangères, la France, pour se redresser, n’a plus que la solution de revenir en elle-même, là où elle trouvera sa vérité.

La fin de la conversation approche et chacun, dans le respect et l’écoute de l’autre, a posé son point de vue sur la situation politique et historique des deux pays. Guitton écrit :

Je crois que mes interlocuteurs furent étonnés, et aussi reconnaissants, de me voir porter les questions sur les sommets. Ni je ne leur parlais de l’issue de la guerre, ni je ne plaidais pour notre libération, bien que je me souvienne de leur avoir dit : « Comment nous parler de collaborer, alors que vous nous retenez dans ces fils ? Vous nous demandez de vous tendre les mains et vous coupez les bras. »

Sourire général, dans la grâce duquel nous nous séparâmes…232

Il s’agit ici, sans aucun doute, d’un cas exceptionnel de mise en œuvre concrète d’une préoccupation politique d’un P.G. : cadre exceptionnel d’une discussion entre « des officiers qui appartenaient à l’élite de l’armée allemande »233 et un des plus prestigieux

Assistant à une grand-messe nazie en 1937, il se fait la réflexion suivante : « Dans beaucoup des aspects de cette

politique nouvelle, on a envie de dire plutôt de cette poésie, tout, certes, n’est pas pour nous, et on n’a pas besoin d’insister pour le dire. Mais ce qui est pour nous, ce qui est un rappel à l’ordre constant, et sans doute une sorte de regret, c’est cette prédication soutenue qui est faite à la jeunesse pour la foi, le sacrifice et l’honneur. De même que Jacques Bainville revint monarchiste de l’Allemagne d’avant-guerre, de même tout Français revient de l’Allemagne d’aujourd’hui persuadé que son pays, que sa jeunesse, pourraient faire au moins aussi bien que nos voisins, si nous restaurions d’abord certaines vertus universelles. Et cela c’est une leçon valable pour tous. » (Notre avant-guerre, op. cit., pp. 277-278.)

231 Jean GUITTON, Fondements de la communauté française, op. cit., § 5, p. 19.

232 Jean GUITTON, Pages brûlées, op. cit., pp. 133-134.

penseurs de la droite conservatrice et catholique française ; niveau de pensée qui voudrait transcender les circonstances et les intérêts directs de chacune des parties pour atteindre à une réflexion universelle ; rhétorique exceptionnelle enfin, d’un Guitton qui louvoie habilement entre pétainisme et collaboration, parlant à partir du premier et donnant le change au second, sans pour autant s’y compromettre.

Guitton, en bon normalien et sorbonnard, excelle dans la distinction des concepts et des positions.234 On peut tout de même noter ici que cette subtile stratégie de louvoiement dévoile la ligne de crête idéologique sur laquelle Vichy construit sa politique durant la guerre. Si les différences existent bien entre le régime de Vichy et le régime nazi, il est néanmoins certain que le premier ne facilite pas toujours, par ses choix idéologiques, la distinction d’avec le second. La technique de Guitton est délicate, parce qu’il est fort difficile de concevoir un État autoritaire, anti-communiste, anti-gaulliste, etc., et qui pour autant reste français et ne soit pas un simple appendice nazi. Cette ligne de crête idéologique trouble particulièrement les P.G. lorsque la détestation de l’Allemand s’accompagne d’une grande fidélité au maréchal. Cette tension affecta bon nombre des P.G. qui ne pouvaient se séparer de l’idée de légalisme. Guitton, mieux que personne (mieux, en tous cas, que la mission Scapini ou le Trait d’union, journal collaborationniste distribué dans les camps), réussit à faire accepter les positionnements ambigus de la Révolution Nationale, en traçant une image idéalisée de sa structure et de ses buts. Je mettrai cette attitude en relation, aussi surprenant cela soit-il, avec le désir exprimé par Jean Védrine, de positionner le pétainisme contre le collaborationnisme :

Fin été 1941 : Des cercles d’étude de la Révolution Nationale ou des Cercles Pétain se créent dans certains camps. Plusieurs délégués Scapini approuvent et soutiennent ces initiatives, qu’ils recommandent d’imiter dans d’autres camps pour écarter et neutraliser les « Cercles Collaboration » ou « Jeune Europe », que de petits groupes de P.G. « collaborateurs » s’efforcent d’organiser souvent à l’initiative et toujours avec l’aide des Allemands.235

Entre Védrine et Guitton, il y a bien un terrain d’entente, malgré les apparences : le pétainisme n’est pas le nazisme, mais il est bien (tout) contre lui, dans ses parages, et de nombreuses passerelles mènent de l’un à l’autre, que certains (Jean 234 « Il décide, il distingue, il classe. Il met la mystique d’un côté, la politique de l’autre, tout devient clair. Premièrement,

deuxièmement, grand A, grand B. Des vues nettes, des catégories bien tranchées, des affirmations inflexibles. » (Georges

HYVERNAUD, à propos d’un autre sorbonnard : Charles Péguy, La peau et les os, op. cit., p. 130.)

Mariat, Noël B. de La Mort) n’hésitent pas à franchir.

Le Journal de captivité de Guitton choisit de ne rendre compte que des événements de la captivité qui pourraient répondre à une pensée du redressement de la France sous le signe de la Révolution Nationale. Il se construit comme une puissante téléologie, dissimulant son inscription idéologique sous des airs de naturel et de transparence. La forme d’écriture du journal, fragmentaire par définition, éloigne le lecteur de l’idée qu’il puisse y trouver un plan d’ensemble, et une pensée cohérente de bout en bout. Au contraire, le journal est censé créer l’impression d’une conscience attentive au flux du monde, des événements, des changements d’humeur et de pensée, plutôt que d’une volonté qui cadenasserait d’emblée dans un sens tout ce qui pourrait advenir d’imprévu. Dans une forme fragmentée et a priori ouverte, Guitton ajuste ensemble descriptions de la vie du camp, significations politiques, religieuses et métaphysiques. Quand M…, le 28 septembre 1942, apprend la mort de sa femme, Guitton écrit :

Il l’apprend par une lettre d’une tante. Elle s’est éteinte le 8 septembre, il y a donc 20