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Chapitre troisième : Science et poésie à message, un héritage pragmatique

La seconde moitié du XIXe siècle est communément considérée comme le « temps héroïque » de « la conquête de l’autonomie »778 du champ littéraire, selon la formulation de Bourdieu. L’autonomisation était déjà en germe chez les romantiques. Certains contemporains leurs reprochaient une forme de fascination pour l’individu qui aurait rendu caduque l’implication sociale du poète779. Dans la droite lignée de la préface à Mademoiselle de Maupin, dans laquelle Gautier rejette l’utilitarisme hors des lettres780, les formulations baudelairienne781, parnassiennes et mallarméenne782 du rôle poétique, révèlent une histoire qui tendrait à prouver que la modernité littéraire a rejeté toute forme de poésie à message, au nom de ce que Baudelaire nomme « l’hérésie de l’enseignement783 ».

À partir du milieu du siècle, cet abandon est corrélatif de la fin progressive de l’enseignement massif de la rhétorique dans les programmes scolaires, que repère Michel Leroy, en 2001, dans Peut-on enseigner la littérature française784 ? Plus récemment, Alain Vaillant a montré dans L’Art de la littérature que le romantisme esquisse le déclin de la tradition rhétorique dans la production littéraire elle-même785. En 1882, Verlaine constate l’agonie du

778 Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire [1992], Paris, Seuil, coll. « Points. Essais », 1998, p. 85-86.

779 Il s’agit de visions polémiques qui méjugent le romantisme en ignorant la valeur prophétique du poète.

780 « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid », Théophile Gautier, préface à Mademoiselle de Maupin [1835],repris dans Romans, contes et nouvelles, Pierre Laubriet (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 2002, p. 230.

781 Que l’on pense par exemple à « L’albatros », Les Fleurs du Mal [1857], repris dans les Œuvres complètes, Claude Pichois (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1975, p. 9-10. La question reste encore ouverte chez Baudelaire qui continue à penser la poésie en termes de « déchiffre[ment] » et de « traduct[ion] » dans la droite lignée du romantisme hugolien, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains [1861], « Victor Hugo », repris dans les Œuvres complètes, op. cit., t. II, 1976, p. 133.

782 Voir notamment « L’Avant-dire » au Traité du verbe de René Ghil, et la « Crise de vers », qui théorisent une poésie tournée avant tout vers la forme, qui « implique la disparition élocutoire du poëte, qui cède l’initiative aux mots », repris dans les Divagations [1897], Œuvres complètes, Bertrand Marchal (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 2003, p. 677-678 et p. 204-213, p. 211 pour la citation.

783 Baudelaire, « Théophile Gautier », L’Art romantique (1869), repris dans les Œuvres complètes, Claude Pichois (dir.), op. cit., t. II, p. 112. Voir à propos de cet anathème qui frappe la poésie à message, l’article de Dominique Combe, « Le poème philosophique ou "l’hérésie de l’enseignement" », Études françaises, vol. 41, no 3, 2005, p. 63-79.

784 Voir les chapitres VI à VIII de Peut-on enseigner la littérature française ?, Michel Leroy, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Perspectives littéraires », 2001, p. 129-205. Michel Leroy étudie précisément la fin progressive de l’enseignement de la rhétorique.

785 Alain Vaillant, L’Art de la littérature, Paris, Classiques Garnier, coll. « Études romantiques et dix-neuviémistes », 2016, p. 12.

184 vieil art oratoire et pressent la fin de son hégémonie : « Prends l’éloquence et tords-lui le cou786 ! »

Au fil du siècle, la faculté du poème à transmettre, sa capacité à mettre en forme un discours, devient sujet à d’âpres débats. Continuer de mettre à profit cette faculté relève d’une attitude que la postérité littéraire jugera rétrograde. La « lutte pour l’indépendance787 » que repère Bourdieu est menée contre un pouvoir en place qui cherche à maintenir l’objet littéraire dans une posture de média de transmission (moral, politique, religieux, métaphysique…). Après l’avènement de l’art pour l’art, rendre à la poésie un rôle de communication, c’est se placer du côté de la norme académique.

Cependant, la formation rhétorique a la vie dure, et les poètes restent pétris d’un art oratoire dont il leur faut, le cas échéant, choisir de se départir. Dans le cas contraire, leurs textes sont sous-tendus par le souci de la forme et de la pragmatique rhétoriques : ils sont organisés, montés et écrits en vue de transmettre un discours. Une large frange de la poésie qui chante la science pendant le second XIXe siècle emploie un style issu de conceptions héritées de la tradition classique. Elle persiste en outre à penser la poésie comme un média de diffusion.

À la suite des formulations phalanstériennes et saint-simoniennes du rôle utilitaire du poète – qui s’appuient par ailleurs sur la tradition de l’utile dulci d’Horace788 –, le début des années 1850 est marqué par des plaidoyers en faveur d’un rôle pragmatique de la poésie. Ces plaidoyers constatent en premier lieu son état agonisant, et appellent la science à la rescousse. Ce constat est largement partagé d’abord par les saint-simoniens, puis par Auguste Comte789, par Maxime Du Camp et même par Leconte de Lisle. Tous souhaitent mettre à profit les vertus des sciences modernes pour donner un second souffle à la lyre épuisée.

La poésie est mourante, la science doit voler à son secours. Elle offre un réservoir thématique dans lequel la poésie peut puiser des matériaux nouveaux et spectaculaires. Bien plus, elle rend à la poésie une légitimité pragmatique : le vers redevient une langue de communication, de diffusion ou de célébration. La poésie de la science est utilisée pour véhiculer un message, qu’il vise d’ailleurs la diffusion scientifique ou des fins qui peuvent être tout autres – politiques ou religieuses, en particulier. Remarquons d’emblée qu’il est fort peu

786 Verlaine, « Art poétique » [1882], repris dans Jadis et naguère [1884], Œuvres poétiques, Jacques Robichez (éd.), Paris, Garnier, coll. « Classiques Garnier », 1986, p. 261-262.

787 Pierre Bourdieu, op. cit., p. 85-86.

788 Horace, Art poétique, v. 343.

789 Voir à ce propos Annie Petit, Le Système d’Auguste Comte, De la science à la religion par la philosophie, op. cit., p. 158-159.

185 d’exemples de poèmes qui se contenteraient de vulgariser du savoir. La spécificité de ce chapitre est de montrer que la forme poétique est presque systématiquement employée afin de complexifier ce processus de diffusion.

1. LA SCIENCE AU SECOURS DUNE POÉSIE PRIVÉE DE MESSAGE

« Quant aux poètes, ils ressemblent à des matelots qui, au lieu de s’occuper de la manœuvre, chanteraient des sonnets aux étoiles ; c’est pourquoi la société leur marche sur le corps, et elle a raison. […] Parle-moi d’industrie et de science, peut-être t’écouterai-je. », Louis Ménard790.

Tandis que le romantisme tend à s’essouffler, le milieu du siècle assiste à la multiplication des entreprises qui aspirent au retour d’un usage pragmatique du poème : par Maxime Du Camp, en 1855, dans la préface des Chants modernes dont j’ai déjà parlé, par Auguste Comte791, qui formule à la fin des années 1840 le rôle auxiliaire de la poésie vis-à-vis de la diffusion scientifique, et enfin, par Leconte de Lisle, en 1852 dans la préface aux Poëmes antiques. Les trois textes, quoique très différents, critiquent les dérives d’une poésie repliée sur elle-même et sur le sujet individuel. Or ces trois appels au retour d’un rôle social du poète s’articulent autour de la notion de science : les arguments pour une persistance pragmatique de la poésie reposent sur son rapport avec la modernité scientifique. Tout se passe comme si la science seule pouvait sauver l’aptitude de la poésie à produire un sens qu’elle a perdu chemin faisant.

1.1. Saint-simonisme et positivisme : plaidoyers pour une poésie ancillaire Les philosophies progressistes du XIXe siècle clament toujours ce caractère instrumental des arts. Le saint-simonisme, ainsi que ses reformulations dissidentes positivistes, entretiennent des rapports paradoxaux avec la poésie. Comme l’explique Philippe Régnier, dans son article « Les Saint-Simoniens, le Prêtre et l’Artiste792 », le rationalisme saint-simonien (et, pourrait-on extrapoler, celui des positivistes) s’accorde a priori assez mal aux harmonies de la lyre et à un art qui repose avant tout sur l’imagination. Néanmoins, ces philosophies ne rejouent pas La

790 Louis Ménard, Préface des Poëmes, 1855, op. cit., p. II-III.

791 Voir le Discours sur l’ensemble du positivisme [1848], Annie Petit (éd.) op. cit., p. 383-387, mais aussi la préface au Catéchisme positiviste [1852], Frédéric Dupin (éd.), Paris, Éditions du Sandre, 2009, p. 25.

792 Philippe Régnier, « Les Saint-Simoniens, le Prêtre et l’Artiste », Romantisme, 1/1990 (no 67), Avatars de l’artiste, p. 31-45.

186 République platonicienne en chassant le poète de la cité793, elles projettent d’en faire leur porte-parole.

1.1.1. Le corps social et le corps poétique : une maladie contagieuse

Saint-simoniens et positivistes s’entendent sur le constat que la poésie constitue un genre problématique : soit il est fondamentalement détourné de la réalité, soit l’évolution littéraire le condamne à ne plus pouvoir produire aucun sens.

Philippe Régnier expose la conception saint-simonienne de l’artiste et du poète794 : dans la droite lignée du cartésianisme rationaliste, Saint-Simon érige en loi l’analyse de Diderot selon laquelle on observe une « décadence de la verve et de la poésie, à mesure que l’esprit philosophique [fait] des progrès795 ». Face au développement de la connaissance humaine, la poésie est, selon les saint-simoniens, en dégénérescence. La Révolution aurait échoué parce qu’elle fut menée avant tout par des lettrés : les arts et la poésie ne sont pas capables, à eux-seuls, d’avoir un impact sur la société. Les romantiques sont regardés par les disciples saint-simoniens comme une génération poétique aliénée par le désespoir. Marta Caraion, dans « Les philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques ». Littérature, sciences et industrie en 1855, évoque, en adoptant le point de vue saint-simonien des années 1830, une « torpeur dépressive dans laquelle a plongé le romantisme », ainsi que des idées « malsaines et destructrices »796.

Le début de la cinquième partie du Discours sur l’ensemble du positivisme d’Auguste Comte797 avance que la poésie ne fut jamais un principe de progrès social. Elle est depuis toujours trop obnubilée par l’esthétique : certes, elle a des impacts positifs sur la société, mais sur un plan purement décoratif. « Aucun esprit normal ne pouvait, en effet, directement supposer que la suprématie intellectuelle appartînt jamais à l’imagination. » Et Comte de poursuivre : « [u]ne telle opinion équivaudrait, au fond, à ériger la folie en type mental. »798

Faire de la poésie qui se contente de réfléchir sa propre voix un principe social est comparé à une dérive pathologique. La poésie du moment (le romantisme et l’Art pour l’art de Gautier) est donc sans ménagement qualifiée de « pédantocratie esthétique ». Conséquemment, les

793 Platon, Œuvres complètes, Émile Chambry (éd.), Paris, Les Belles Lettres, coll. « des Universités de France », t. VI, 1989, ouverture du livre III,386a-387b, p. 91-93.

794 Philippe Régnier, « Les Saint-Simoniens, le Prêtre et l’Artiste », art. cit., p. 32.

795 Diderot, Salon III, Ruines et paysages,Salons de 1767, « Vernet – Sixième site », Else Marie Bukdahl, Michel Delon, Annette Lorenceau (éd.), Paris, Hermann, coll. « Savoir : Lettres », 1995, p. 215.

796 Marta Caraion, « Les philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques ». Littérature, sciences et industrie en 1855, op. cit., p. 17.

797 Auguste Comte, Discours sur l’ensemble du positivisme [1848], Annie Petit (éd.), op. cit., p. 383-387.

187 poètes, mentalement et moralement défaillants, sont pour l’instant inaptes à servir de guides ou de modèles. En somme, il ne faut pas, en l’état, écouter ce qu’ils disent.

Maxime Du Camp reprendra ces thèses et tentera de les mettre en application. La préface des Chants modernes, en 1855, intègre des éléments saint-simoniens et comtiens. Elle postule également que la poésie romantique est une actualisation pathologique de l’art. S’il est parmi elle des grands noms, le temps n’a pas renouvelé les poètes romantiques : « [c]es hommes, nul ne les a remplacés ; ils sont encore les plus élevés et les plus vigoureux, malgré l’âge qui vient et les événements qui les oppriment799. » La poésie de ce temps est marquée par le vieillissement. Cette dégénérescence personnelle se double et s’accompagne d’une détérioration sociale qui l’explique et la renforce. Du Camp justifie son propos. Hugo est en exil ; Lamartine a été battu en 1848 par Louis-Napoléon Bonaparte et se retire de la vie politique ; Vigny, après son élection humiliante à l’Académie Française – il s’y présenta à six reprises, et son discours d’entrée fut très mal reçu, le président critiquant ouvertement son œuvre800 –, ne parviendra à se faire élire député en Charente ni en 1848, ni en 1849801. Selon Du Camp, les crises politiques ont une influence néfaste sur la poésie802. Celle-ci porte les stigmates morbides du temps et tente tant bien que mal de les cacher, sous des artifices virtuoses de mauvais goûts :

L’art en est arrivé à une époque de décadence manifeste, ceci n’est pas douteux ! Un excès ridicule d’ornementation a remplacé la richesse et la pureté de ses lignes. Semblable à une vieille femme qui teint ses cheveux, frotte de rouge ses joues ridées, se couvre de bijoux et s’enguirlande de fleurs, pour rajeunir, et qui ne réussit qu’à se rendre hideuse, l’art cherche lâchement à pallier ses décrépitudes par toutes sortes de procédés factices, au lieu de tenter dignement sa régénération dans une voie nouvelle803.

L’art et la poésie se sont vidés de tout contenu, de toute signification : « [l]a pensée ne se formule plus ; la forme seule se contourne et se tourmente pour voiler le squelette qu’elle habille804. » Ce squelette est une image adéquate pour signifier la vacuité d’une forme, d’une

799 Maxime Du Camp, Préface des Chants modernes [1855], édition de Marta Caraion, dans « Les philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques », op. cit., p. 78.

800 Pour les rapports entre Vigny et l’Académie Française, et pour un état des lieux très détaillé de cet événement, voir la thèse de Lise Sabourin, Alfred de Vigny et l’Académie Française. Vie de l’institution (1830-1870), Paris, Honoré Champion, coll. « Romantisme et modernité », 1998, p. 18-19, ainsi que la deuxième partie, « Sous la coupole », p. 227-485. Plus récemment, voir aussi le chapitre que Jean-Pierre Lassalle consacre à l’anecdote dans sa biographie du poète romantique Alfred de Vigny, « L’Académie Française ou l’aventure douloureuse », Paris, Fayard, 2010, p. 275-318.

801 Voir, dans la biographie de Jean-Pierre Lassalle, op. cit., le chapitre intitulé « Le gentleman farmer et le mirage des urnes », p. 319-328.

802 Tel ne semble pas être le cas pour le roman : le succès des Mystères de Paris (1842-1843) valut à Eugène Sue d’être élu député de la Seine en 1850.

803 Maxime Du Camp, Préface des Chants modernes, op. cit., p. 79.

188 cage osseuse désertée par les organes : « [l]e culte du vieux est chez nous une manie, une maladie, une épidémie805. »

Cette maladie des poètes n’est que passagère, elle est le symptôme d’un état de la société marqué par les errements moraux et idéologiques806 : la poésie, inutile et immorale, est la marque d’une situation sociale elle-même en crise.

1.1.2. La science et la rénovation sociale au secours de la lyre

La solution du saint-simonien Émile Barrault repose sur une rénovation par remplacement de paradigmes (selon le mot de Thomas Kuhn) : « [à] cette poésie agonisante doit succéder la poésie définitive, la poésie Saint-Simonienne807 ». Cette poésie doit s’adosser à un système comparable à celui de la religion considérée au sens premier du mot : par la diffusion des progrès technico-scientifiques, explique Marta Caraion, le poète futur est invité à créer une communauté humaine. Le poème, sur le modèle scientifique et technique, doit servir de passerelle entre les êtres et entre les peuples808. Dans le système saint-simonien, d’inspiration ouvertement théologique, l’artiste devient l’équivalent du prêtre809 : « [o]sez donc être les précepteurs de l’humanité, dirons-nous aux artistes, et apprenez de Saint-Simon ce qu’il faut aujourd’hui lui enseigner810. » Le poème doit devenir le vecteur de cette religion nouvelle, ce que l’on pouvait déjà lire dans « Dupont et Durand », en 1838, la charge ironique de Musset à l’encontre des poètes socialistes utopiques811.

Comte formulera lui aussi son système en le coulant dans le cadre religieux. Comme l’indique Annie Petit, toutes les formes du positivisme (les orthodoxes et les dissidentes) se proposent comme but sacré la diffusion des savoirs, et notamment des savoirs scientifiques812. La poésie devient également l’agent de transition entre une philosophie positiviste et la politique qui en est la mise en œuvre pratique : « le positivisme explique et consolide l’appréciation universelle, en assignant à la poésie sa position systématique entre la philosophie

805 Ibid., p. 81. C’est l’auteur qui souligne.

806 Auguste Comte, Discours sur l’ensemble du positivisme, op. cit., p. 387.

807 Émile Barrault, Aux Artistes. Du passé et de l’avenir des beaux-arts. Doctrine de Saint-Simon, Paris, 1830, p. 74, texte cité par Marta Caraion, « Les philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques », op. cit., p. 18.

808 Marta Caraion, ibid., p. 19.

809 Voir Philippe Régnier, « Les Saint-Simoniens, le Prêtre et l’Artiste », art. cit.

810 Émile Barrault, Aux artistes, op. cit., p. 74, cité par Marta Caraion, op. cit., p. 18.

811 Musset, « Dupont et Durand », Poésies nouvelles (1835-1840), repris dans les Poésies complètes, Franck Lestringant (éd.), Paris, Librairie générale française, coll. « Classiques de poche, 2006, p. 466-475. Dupont y représente la caricature du poète républicain socialiste et utopiste. Il explique le contenu de son poème fouriériste (p. 470-472), ce qui permet à Musset de composer de malicieux alexandrins à l’occasion desquels il parodie la rhétorique humanitaire.

812 Annie Petit, « La diffusion des savoirs comme devoir positiviste », Romantisme, année 1989, vol. 19 (no 65), Sciences pour tous, p. 7-26.

189 et la politique, comme émanée de l’une et préparant l’autre813. » Elle « dépend de la philosophie » et « influe sur la politique »814. Le média lyrique est envisagé comme une voie de communication entre les idées et la société : la poésie explique les concepts de tous ordres (et notamment scientifiques) et les divulgue en vue d’influencer la destinée humaine commune. Auguste Comte rend d’ailleurs aux vers, dans son Catéchisme positiviste, en 1852, leur puissance évocatrice : ils constituent la langue de la diffusion par excellence815. Le philosophe rappelle que, dans son système, l’art et la science sont deux entités « destiné[e]s » « aux phénomènes sociaux »816. Elles ont le même but : la venue de l’état positif. Ainsi, lorsque le positivisme aura doté l’humanité d’une « doctrine universelle et d’une direction sociale817 », la poésie retrouvera un message à transmettre : elle se fera le chantre de la libération de l’humanité par le progrès scientifique, mais aussi son prophète.

Maxime Du Camp reformule ces aspirations en même temps qu’il annonce être celui qui les réalisera : le poète doit se faire prêtre, « prendre la tunique blanche des lévites818 ». Ce prêtre nouveau a pour charge de chanter les avancées du siècle pour se détourner d’un passéisme frappé de psittacisme. Il lui revient de louer à la fois la liberté dont le peuple français, depuis 1789, est le dépositaire, mais aussi les progrès scientifiques et techniques819. Le monde à venir sera le fruit d’une pacifique révolution scientifique820, et son poète retrouvera un rôle « immense », celui de « formuler définitivement le dogme nouveau », dogme selon lequel « le siècle est aux planètes [c’est-à-dire à la science] et aux machines [c’est-à-dire à la technique] ». La poésie se retrouve une nouvelle fois dans la position d’un trait d’union : « elle aura à dépouiller la science des nuages obscurs où elle se complaît et aura à diriger l’industrie »821. En d’autres termes, le poète va devoir rendre audibles les sciences en les vulgarisant, en levant le voile nébuleux qui les entoure pour faire apparaître la connaissance dans toute sa gloire solaire, et son chant servira à guider les progrès de la technique industrielle. La poésie fait effectivement œuvre de diffusion scientifique, puisqu’elle rend accessibles pour les techniciens et les industriels les connaissances savantes trop spécialisées. Son rôle est celui du passeur, mais pas uniquement. Dans cette optique, la fonction du poème peut aussi devenir celle d’un guide,

813 Auguste Comte, Discours sur l’ensemble du positivisme, op. cit., p. 393.

814 Ibid., p. 394.

815 Auguste Comte, Catéchisme positiviste, « Préface », Frédéric Dupin (éd.), op. cit., p. 25.

816 Auguste Comte, Discours sur l’ensemble du positivisme, op. cit., p. 393.

817 Ibid., p. 387.

818 Maxime Du Camp, Préface des Chants modernes, op. cit., p. 80.

819 Du Camp évoque la découverte de planètes et de mondes, il a sans doute en tête la découverte de Neptune, par

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