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Les connections entre les lobes antennaires et les centres nerveux supérieurs ont fait l’objet de peu de travaux chez les fourmis. Cependant l’étude anatomique des corps pédonculés (mushroom bodies), une des structures supérieures majeures chez les insectes, montre de fortes similarités et quelques divergences entre abeilles et fourmis soulignant à nouveau l’importance de l’olfaction dans ce deuxième taxon. Les corps pédonculés sont impliqués

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dans les processus de mémoire chez l’insecte (Heisenberg 2003) et constituent le centre terminal d’intégration de l’information permettant à l’individu d’ajuster son comportement en fonction des stimuli environnementaux. Cette structure est particulièrement développée chez les Formicidés mais aussi, du fait de la grande variation morphologique inter- comme intra- spécifique des individus de ce groupe, elle présente des différences en fonction des espèces et des tâches accomplies par les individus (Gronenberg 1999). Comme chez les autres Hyménoptères, la zone d’afférence des corps pédonculés est divisée en trois régions : la lèvre (lip) qui reçoit les afférences provenant des lobes antennaires, le col (collar) qui traite les influx nerveux provenant des lobes optiques et l’anneau basal (basal ring) qui reçoit les axones des neurones des lobes antennaires et optiques. Ces trois zones sont définies par les synapses créées entrent les neurones de projection et les cellules de Kenyon (KC pour Kenyon Cells) qui sont des neurones relativement petits au fort potentiel d’intégration. Les Formicidés possèdent des corps pédonculés bien développés (environ 130 000 cellules de Kenyon chez Camponotus rufipes, Ehmer & Gronenberg [2004]) pouvant représenter jusqu’à 40% du volume cérébrale.

Les cellules de Kenyon forment des boutons synaptiques avec les neurones de projection issus des centres sensoriels primaires (lobes antennaires et olfactifs). Chez les Formicidés, les synapses formées par les PNs et les KC au niveau de la lèvre (information olfactive) sont plus larges, possèdent plus de vésicules (transfert plus rapide de l’influx nerveux) et moins d’éléments post-synaptiques que celles formées au niveau du col (information visuelle). Le fait de posséder plus d’éléments post-synaptiques est un indicateur d’une forte transmission de l’information qui peut se faire au dépend d’une meilleur intégration de celle-ci par les KC en charge de l’information visuelle. A contrario, les KC de la lèvre, comprenant moins d’éléments post-synaptiques pourraient ainsi procéder à une intégration plus intensive de l’information olfactive (Seid & Wehner 2008). D’autre part, chez les fourmis, certaines KC dites bifides possèdent des dendrites au niveau de la lèvre et du col (influx olfactifs et visuels). Ce type de cellules bimodales n’a semble-t-il jamais été mis en évidence chez l’abeille (Ehmer & Gronenberg 2004).

Les PNs projettent également sur la corne latérale - structure supérieure qui a été peu décrite chez la fourmi (Nishikawa et coll. 2012)-, via leurs collatérales. L’information olfactive parcourt donc une sorte de boucle. Partant du lobe antennaire, elle est en partie intégrée par les cellules de Kenyon au niveau des corps pédonculés puis elle continue vers la corne latérale du protocérébron où s'achève son trajet.

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Les neurones de projection définissent deux voies de circulation de l’information nerveuse, appelées faisceaux antennoprotocérébraux latéral (l-APT pour lateral-AntennoProtocerebral Tract) et médial (m-APT pour medial-AntennoProtocerebral Tract) caractérisés par leur position respective par rapport à l’orientation du cerveau (Zube et coll. 2008). Ces deux voies (ci-dessous voies l-APT et voie m-APT) semblent être ségrégées sur l’ensemble du parcours de l’information nerveuse, comme chez l’abeille (Galizia & Rössler, 2010). Les PNs peuvent être répartis en deux hémisphères représentant chacun 50% du lobe antennaire dont les efférences respectives forment les deux voies l- et m-APT. La voie l-APT est issue des amas glomérulaires T1 à T4 et projette sur la corne latérale du protocérébron puis sur deux zones délimitées de la lèvre du corps pédonculés (appelées l-II et l-III pour lip-II et lip-III). La voie m-APT est issue des amas glomérulaires T3, T5, T6 et T7 et elle projette sur une zone délimitée de la lèvre du corps pédonculés (appelées l-I pour lip-I) puis sur la corne latérale du protocérébron (Nakanishi et coll. 2009; Rössler & Zube 2011; Zube et coll. 2008). La région T3 est donc divisée en deux parties. Ces deux voies sont incomplètement ségrégées et montrent des zones de recoupement au niveau des corps pédonculés et de la corne latérale (Figure 4, droite).

Une étude récente de Nishikawa et coll. (2012) chez C. japonicus propose une organisation complémentaire du lobe antennaire qui serait propre aux femelles et traiterait spécifiquement les informations sociales. Les résultats de leur étude neuro-anatomique montrent que les neurones de projection dans le lobe antennaire délimitent deux zones : une zone T6 (glomeruli T6) et une zone non-T6 (regroupant les 6 autres glomeruli). Les PNs issus de la région T6 (véhiculant l’information sociale issues des sensilles de type basiconica) constituent une voie m-APT projetant sur deux zones délimitées au niveau de l’anneau basal (une zone appelée br-I pour basal ring I) et de la lèvre (une zone appelée l-I pour lip-I) et entendant des collatérales vers une partie précise de la corne latérale (appelée LH-I pour Lateral Horn I). A l’inverse, les PNs issus de la zone non-T6 (i.e. issus des cinq autres amas glomérulaires) constituent une voie l-APT projetant sur quatre zones délimitées au niveau de l’anneau basal (deux zones appelées br-II et br-III pour basal ring II et III) et de la lèvre (deux zones appelées l-II et l-III pour lip-II et lip-III) et entendant des collatérales vers une zone précise de la corne latérale (appelée LH-I pour Lateral Horn I). Ces deux voies sont clairement ségrégées sur l’ensemble du trajet nerveux (Figure 4, gauche).

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Figure 4. Schéma des connections nerveuses associées au traitement de l’information captée par les

antennes. A gauche : présentation des deux voies (T6 et non-T6) de traitement de l’information antennaire proposée par Nishikawa et coll. (2012). La voie T6 (en vert) reçoit l’information (sociale) issue des sensilla basiconica. Cette information est transmise via une voie m-APT vers la zone lip-I de la lèvre du corps pédonculé puis vers la zone LH-I de la corne latérale du protocérébron. La voie non- T6 (en rose) reçoit l’information (non sociale) issue de tous les types de sensilles. Cette information est transmise via une voie l-APT vers les zones lip-II et lip-III de la lèvre du corps pédonculés puis vers les zones LH-II et LH-III de la corne latérale du protocérébron. A droite : organisation générale du traitement de l’information antennaire. Voie m-APT (en violet): les PNs issus des amas glomérulaires T3, T5, T6 et T7 projettent sur la zone lip-I de la lèvre du corps pédonculés puis au niveau de la corne latérale du protocérébron. Voie l-APT (en jaune): les PNs issus des amas glomérulaires T1 à T4 projettent sur les zones lip-II et lip-III de la lèvre du corps pédonculés puis vers la corne latérale du protocérébron. Les zones hachurées correspondent à des régions où les voies l- et

m-APT se confondent (Nishikawa et coll. 2012; Zube et coll. 2008). LA : lobe antennaire, CN : corne

latérale, LO : lobe optique, NA : nerf antennaire, CC : complexe central. (D’après Nishikawa et coll. 2012).

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En conclusion, les Formicidés possèdent un système de perception de l’information olfactive fortement développé et similaire en de nombreux points à celui particulièrement bien décrit de l’abeille à miel (Apis mellifera) (Rössler & Zube, 2011). Les caractéristiques principales spécifiques au cerveau des Formicidés (en comparaison avec celui de l’abeille) semblent être d’une part, l’orientation préférentielle des structures vers le traitement de l’information olfactive (au détriment peut-être du traitement de l’information visuelle) et l’importance (en volume et nombre d’unités fonctionnelles) allouée aux corps pédonculés dont on suppose leur implication dans l'expression de la plasticité comportementale (Gronenberg 2008).

Certaines structures du cerveau des fourmis ne sont pas mentionnées dans cette introduction car elles ont été très peu étudiées chez la fourmi et car les connaissances que nous avons provenant d’autres modèles semblent montrer qu’elles ne sont pas fondamentalement liées à la perception olfactive (Gronenberg 2008).

A la suite de cette synthèse (brève et non exhaustive) sur les substrats neurobiologiques de la perception olfactive chez la fourmi il convient de présenter l’état des connaissances sur les composés utilisés lors des processus de communication au sein du groupe des Formicidés. La partie suivante est donc consacrée à la présentation des indices chimiques utilisés lors de ces processus.