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La composante religieuse

I.3 Unité de religion : Interdiction du protestantisme

I.3.3 Catholicisme et évangélisation

Cette interdiction d’une religion autre que le catholicisme est à mettre en re-lation avec la volonté d’évangélisation des autochtones. Comme le démontre l’édit du roy pour l’establissement de la compagnie de la Nouvelle-France du mois de may 1628, la France veut créer :

«[…] une forte compagnie pour l’establissement de naturels françois, catholiques de l’un et l’autre sexe jugeant que c’étoit le seul et unique moyen pour advancer en païs d’Amérique la conversion de ces peuples, et accroistre le nom françois à la gloire de Dieu, et reputation de cette couronne […] »181.

La France reconnaît, à travers cet article, que l’envoi de protestants dans les colonies ne permet pas la conversion des Amérindiens. Pour s’assurer une pleine réussite de la mission évangélisatrice sur laquelle repose la justifica-tion de l’Empire français, la France doit veiller à n’envoyer dans ses colonies que des catholiques. Par ce choix, elle espère que les conversions se feront plus rapidement et facilement grâce à l’exemple des sujets catholiques fran-çais présents sur place.

Durant les années où le protestantisme est encore toléré dans les colonies, de nombreuses voix s’élèvent contre la présence de marchands protestants.

Lorsqu’ils occupent un poste important, à l’instar des de Caën182, détenteurs d’un monopole commercial en Nouvelle-France, les protestants sont vivement

180 Pierre Hinselin, 1687, FR ANOM COL C7A 3 F°139.

181 Édit du Roy pour l’establissement de la compagnie de la Nouvelle-France du mois de may 1628, mai 1628, FR ANOM COL A 21 F°50.

182 Bien que cousins, les de Caën appartiennent chacun à une religion différente. Emery fait partie de la branche catholique de la famille tandis que Guillaume, lui, est protestant. Tru-del, Marcel,Histoire de la Nouvelle-France, Le comptoir : 1604-1627,p. 274.

critiqués. Ils sont accusés de ne pas tenir compte des objectifs de colonisa-tion de l’Empire français qui, dans les lettres patentes, insiste sur la nécessité de convertir les populations autochtones, mais également de peupler les nou-velles terres.

Le problème posé par les protestants est également lié au fait, selon Jack Warwick183, que les personnes à la source de la volonté d’Empire français sont de religion catholique alors que celles qui la mettent en application, à travers les monopoles commerciaux, sont protestantes. Les intérêts ne sont donc pas les mêmes et, selon les personnalités, des conflits surgissent comme nous le verrons ci-dessous à propos des de Caën qui ont marqué l’his-toire de la Nouvelle-France de manière négative pour les acteurs intéressés par la religion et l’évangélisation.

Une lettre anonyme de 1626, que Jack Warwick attribue à Joseph Le Caron, missionnaire récollet en Nouvelle-France, envoyée au roi et portant sur les affaires de la colonie s’oppose de manière virulente à la présence des protes-tants dans les établissements français du Nouveau Monde. Le fait d’octroyer un monopole commercial auquel on adjoint la responsabilité du peuplement des nouveaux territoires est dangereux car les protestants :

«[…] promettent trop peu : Et ne correspondent nullement à l’intention que le Roy et son Conseil ont d’y faire planter la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Plus d’y faire descouverture, peupler, bastir, deffricher et d’y maintenir tous naturels François qui s’y voudroient ha-biter, dans le droict que justement ils pourroient demander leur estre faict. Au surplus, rien n’est accomply, ou si peu que rien de ce qu’ils promettent pour le bien dudit païs. »184

L’auteur de cet avis traite de la crainte généralisée, à cet époque, que les di-vergences religieuses entre catholiques et protestants ne deviennent un frein aux conversions des Amérindiens. Les premières années de colonisation

183 Sagard, Gabriel,Le grand voyage du pays des Hurons ; suivi du Dictionnaire de la langue huronne, éd. Critique par Jack Warwick,p. 15.

184 Le Caron, Joseph, « advis au Roy sur les affaires de la Nouvelle France, 1626 », in : Sagard, Gabriel,Le grand voyage du pays des Hurons ; suivi du Dictionnaire de la langue huronne, éd.

Critique par Jack Warwick, p. 454.

étant essentiellement basées sur la théorie de l’acculturation185 et sur l’es-poir que les Amérindiens se convertiront au catholicisme grâce à l’exemple des Français, la présence de protestants ne peut qu’amener à la confusion de ces néophytes :

« Plus, il est dit des Apostres & premiers croyans qu’ils n’avoient qu’un cœur et qu’une ame : belle leçon pour nous apprendre que pour planter la foy et faire fonction de vrays Apostres en un pays nouveau, il ne faut qu’il s’y rencontre une confusion tres scandaleuse & une entre-mangerie au faict de la religion. »186

Cette lettre énumère ensuite nombre de fautes imputées aux de Caën, déten-teurs du monopole commercial dont l’un des membres est protestant. Outre qu’ils n’aideraient en rien les religieux, méprisant et traitant ceux-ci comme des ouvriers, les de Caën ne remplissent pas leurs obligations en matière de peuplement et de culture des terres contenues dans les lettres patentes :

« On ne s’acquitte nullement de ce que promet le 10earticle, qui dit que l’on doit passer nourrir & entretenir six familles de Laboureurs, de deux ans en deux ans […] que ce qui estoit deffriché auparavant qu’il [de Caën]

y eust mis le pied, il y a si malicieusement procédé qu’il l’a presque fait tout demeurer en friche, la preuve en est tres-claire, & ne sçauroit nier qu’il n’a fait deffricher un seul poulce de terre depuis qu’il y est venu […] »187.

D’autres critiques anonymes s’élèvent contre la présence des protestants en Nouvelle-France. Dans laPlainte de la Nouvelle France dicte Canada a la France sa Germaine, écrite en 1621 et attribuée à Georges Le Baillif188, l’au-teur critique vivement le choix d’avoir mis un protestant à la tête du monopole.

Dans cette lettre, les accusations sont d’ordre général et peu détaillées, mais elles démontrent les craintes, liées à la présence des protestants, concernant l’implantation de la religion catholique dans les colonies :

185 Que nous verrons ci-dessous au point I.4.5.

186 Op. cit., p. 455.

187 Ibid., p. 456.

188 Dumas, G-M, «Le Baillif, Georges», in: Brown, George W.; Hayne, David M.; Halpenny, Fran-cess G. [et al.] (éd.),Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1.

« Ignore tu chere Germaine qu’un de ces passionés ennemis de Dieu que tu adore, pour braver la Religion de laquelle avec tant de gloire, tu fais une religieuse profession, est venu chés moy, mais à la mal’heure, avec des momissions [sic], si extravagantes, & si iregulieres, qu’à peine elles me furent cognuës, que j’augure tout aussi tost que l’on m’avoit envoyé quelque Cham desnaturé, qui se souciant aussi peu de ta gloire que de mon repos, auroit chargé ses vaisseaux pour toutes les merceryes de tourmens, & d’orages. »189

Georges Le Baillif fait également partie de l’ordre missionnaire des Récollets.

Son objectif étant de convertir les populations autochtones au catholicisme, il est dans son intérêt d’interdire tout représentant d’une autre religion dans la colonie à l’instar de Joseph Le Caron et de Gabriel Sagard, tous deux récollets également.

Les critiques sur le désintérêt des acteurs de la colonisation pour la culture de la terre et le peuplement des colonies se retrouvent dans les textes d’autres auteurs tels que Champlain et Lescarbot, mais, surtout, dans ceux des Récol-lets et dans les premiers écrits des Jésuites. Elles sont le reflet de l’opposi-tion marquée entre les marchands, qui se rendent en Nouvelle-France afin de commercer avec les populations amérindiennes, et les représentants du gou-vernement ainsi que les membres d’ordres religieux qui, eux, sont en faveur d’une colonie peuplée et puissante. Les marchands ne sont nullement inté-ressés par l’apport de colons et la culture des terres qui ne leur rapporte rien, l’essentiel de leur commerce consistant en échange de fourrures avec les au-tochtones190. Pour ce faire, seule une alliance commerciale est nécessaire.

Or, pour les missionnaires et les autorités gouvernementales, si la France veut retirer quelque chose de ses colonies, elle doit s’y implanter par la religion et par le nombre. Et pour de nombreux auteurs, les marchands empêchent cet objectif de se mettre en place. Comme plusieurs marchands sont huguenots, les critiques adressées aux marchands et aux protestants sont souvent mê-lées.

189 Georges Le Baillif,Plainte de la Nouvelle France dicte Canada A la France sa Germaine, in : Sagard, Gabriel,Le grand voyage du pays des Hurons ; suivi du Dictionnaire de la langue huronne, éd. Critique par Jack Warwick, p. 464.

190 Havard, Gilles ; Vidal, Cécile,Histoire de l’Amérique française, p. 55.

Les Jésuites se servent de la présence des protestants dans les colonies du-rant les premières années de l’Empire français pour justifier les difficultés auxquelles ils sont confrontés. En effet, de nombreuses critiques s’élèvent en France contre cet ordre puissant qui a remplacé les Récollets en Nouvelle-France. Le petit nombre de conversions effectuées chaque année leur est souvent reproché. Pour répondre à ces attaques, les Jésuites avancent l’ar-gument de la présence de protestants (les de Caën) à la tête du monopole commercial chargé de coloniser et d’amener la foi chrétienne dans le Nou-veau Monde. Une telle association ne pouvait, selon eux, que retarder les ef-forts des missionnaires puisque les protestants ont refusé de soutenir les efforts d’évangélisation :

« Et si vous remontez plus haut, vous ne vous estonnerez point que la foy n’aye rien avancé en ces contrées, pendant qu’un heretique y avoit la principale conduite des affaires, et l’authorité sur ceux qui eussent peü s’y employer. »191

La crainte d’un retour des protestants dans les colonies de l’empire est encore présente plusieurs années après leur interdiction. Dans sonEtablissement de la Foy dans la Nouvelle France, Chrestien Le Clercq, auteur appartenant à l’ordre des Récollets, effectue une vive critique des Huguenots impliqués dans la colonisation de la Nouvelle-France avant 1630. Il s’agit de la période durant laquelle les Récollets sont les seuls missionnaires envoyés sur place pour convertir les peuples autochtones. Chrestien Le Clercq impute aux pro-testants le manque de succès de l’ordre religieux dans sa mission évangéli-satrice :

« Que les Protestans, ou Huguenots, ayant la meilleure part au com-merce, il estoit à craindre, que le mépris qu’ils faisoient de nos Mys-teres, ne retardât beaucoup l’établissement de la Foi. »192

La critique est la même que celle de ses prédécesseurs : les protestants sont accusés de ne s’intéresser qu’au commerce et de ne pas mettre en œuvre leurs obligations religieuses et de peuplement :

191 Le Jeune, Paul,Relations des Jésuites contenant ce qui s’est passé de plus remarquable dans les missions des pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, année 1636, p. 31.

192 Le Clercq, Chrestien,Etablissement de la foy dans la Nouvelle France […],vol. 1, p. 97.

« Ces Messieurs après bien des conferences promettoient beaucoup, mais sans effet : fort zelés pour leur commerce, mais peu sensibles à meriter la benediction de Dieu, en contribuant aux interests de sa gloire. »193

La Potherie, auteur de l’Histoire de l’Amérique Septentrionale, atteste égale-ment du problème posé par les protestants dans les colonies. Selon lui, les huguenots représentaient un danger pour la colonie en matière de religion, et étaient susceptibles de créer des dissensions entre les colons. Leur interdic-tion s’avérait donc nécessaire :

« L’Evangile commençait à fleurir, et la Colonie augmentait, mais le nombre d’Huguenots qui y étaient pour lors aurait fait un grand tort à la Religion, si le Père Joseph le Caron Recolet, n’eut fait tous ses efforts en France pour faire mettre un Catholique à la place du Directeur de la Compagnie, qui obligeait les Catholiques d’assister à leurs prières. »194 Un seul auteur, à notre connaissance, se prononce en faveur du retour des pro-testants dans les colonies après leur interdiction. Cet auteur est cependant réputé pour son opposition à la politique française relative à ses colonies de même qu’aux différents ordres religieux. Il s’agit du baron de Lahontan, dont nous étudierons les écrits, publiés en 1703, plus en détail dans notre partie dédiée aux critiques adressées aux Jésuites. L’intérêt de Lahontan est lié au commerce, qui pourrait, selon lui, enrichir les colonies plutôt que les nations étrangères où les huguenots se réfugient :

« Je suis surpris qu’au lieu de faire sortir de France les Protestans qui passant chez nos ennemis, ont causé tant de dommage au Royaume par l’argent qu’ils ont aporté dans leurs Païs, & par les Manufactures qu’ils y ont établi, on ne les ait pas envoyez en Canada. »195

Le fait que seul cet auteur, réputé pour son ouvrage virulent contre l’Empire français et la place que la religion y occupe soit en faveur de la venue des

193 Ibid., p. 102.

194 Bacqueville de la Potherie, Claude Charles Le Roy,Histoire de l’Amérique Septentrionale, Relation d’un séjour en Nouvelle-France,vol. 1, p. 157.

195 Lahontan, Louis Armand de Lom d’Arce,Nouveaux voyages de Mr. le Baron de Lahontan dans l’Amérique Septentrionale […], vol. 2, p. 83.

protestants dans les colonies, démontre la force de l’opposition de la poli-tique française à ce sujet. Aucun auteur, mis à part le baron de Lahontan196, clairement désavoué par le gouvernement, ne prend la plume pour prôner la venue des protestants dans les colonies dans le but de les enrichir.

La volonté d’interdire les protestants dans les colonies est liée à la concep-tion de la naconcep-tionalité et la religion comme un tout. Le fait que les protestants professent une religion différente des catholiques et donc différente de celle de la majorité des Français, amène ces derniers à penser que les protestants ne sont pas de véritables sujets du roi de France. Ils sont, de par leur religion, susceptibles de trahir les intérêts de la France en se tournant vers d’autres États dans lesquels leur religion est acceptée. La crainte de l’alliance des pro-testants français avec l’Angleterre est particulièrement marquée ainsi que le démontre Lahontan. Dans sa plaidoirie en faveur de la venue des huguenots, il s’efforce d’apaiser ces peurs en affirmant qu’elles sont infondées :

«[…] quelques personnes m’ont répondu à ce sujet que le remede eût été pire que le mal, puisqu’ils n’auroient pas manqué tôt ou tard d’en chas-ser les Catholiques par le secours des Anglois ; mais je leur ai fait en-tendre que les Grecs & les Armeniens sujets du Grand Seigneur, quoique de Nation & de Religion differente de celle des Turcs, n’ayant presque jamais imploré l’assistance des Puissances étrangeres pour se rebeller

& secoüer le joug, ou avoir plus de raison de croire que les Huguenots auroient toûjours conservé la fidelité dûë à leur Souverain. »197

Le fait d’interdire les protestants dans les possessions françaises peut égale-ment être mis en relation avec une notion, que l’on retrouve dans la plupart des écrits des XVIIeet XVIIIesiècles, qui présente les terres du Nouveau Monde comme des lieux purs, exempts des vices présents en France métropolitaine.

Il s’agit de l’image de pureté attachée à l’Empire français.

196 Sur les écrits de Lahontan, voir : Ouellet, Réal, « Lahontan et Exquemelin : deux exemples de dérive textuelle (XVIIe-XVIIIesiècles) », pp. 45-57.

197 Lahontan, Louis Armand de Lom d’Arce,Nouveaux voyages de Mr. le Baron de Lahontan dans l’Amérique Septentrionale […], vol. 2, p. 83.