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LES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES

6. —Nous examinerons d'une part l'importance de la période (1.), d'autre part les grands thèmes de la pathologie du régime (2.).

1. IMPORTANCE DE LA PÉRIODE.

7. — Quinze ans de vie démocratique. — L'histoire constitutionnelle de la Grèce moderne souffre d'un malaise quasi-permanent. En effet, pendant le seul XXème siècle, quatre Constitutions démocratiques ont été votées et promulguées (1911, 19272, 1952, 19753), mais les années de fonctionnement constitutionnel plus ou moins régulier sont peu nombreuses (telles sont les périodes 1911-1915, 1927-1935 et 1952-1965). Les causes de cet état de choses dépassent largement notre étude, l'histoire constitutionnelle étant toujours un reflet de la vie politique. Il s'agit en effet de secousses provo- quées par les grands problèmes nationaux et leurs conséquences4.

La période la plus longue de vie constitutionnelle à peu près normale au XXème siècle est celle qui a été régie par la Constitution de 1952. Bien que jusqu'au 15 juillet 1965 (Coup de force royal) les critiques du régime constitutionnel n'aient pas manqué, son fonctionnement est caractérisé par une continuité certaine (voir infra Nos 13 et ss.). La Constitution est géné- ralement reconnue comme loi fondamentale de l'Etat par toutes les ten- dances politiques. Les anomalies graves et flagrantes, le mépris manifeste

2. On pourrait y ajouter aussi la Constitution mort-née de 1925. Le professeur Georges V L A C H O S , L'histoire con tutionnelle récente de la Grèce, extrait de la Revue internatio- nale d'histoire politique et constitutionnelle, Athènes, 1953, pp. 125-126, considère d ' a u t r e part q u ' e n 1935 il y a eu une Constitution originale issue de la rencontre des Constitutions de 1911 et de 1927. En effet, en 1935 la C h a m b r e des députés avait remis en vigueur la Constitu- tion de 1911, mais quelques j o u r s plus tard le G o u v e r n e m e n t , par des décrets constitution- nels, maintenait en vigueur un certain n o m b r e d'articles de la Constitution abrogée de 1927.

La t h è s e de M. Vlachos est j u s t e quant au cadre juridique, mais il ne s'agit pas néanmoins d ' u n e nouvelle Constitution au sens formel du terme. Les mesures constitutionnelles tant de la C h a m b r e des députés que du G o u v e r n e m e n t avaient un caractère expressément provisoire et n'étaient pas destinées à d u r e r longtemps (Coup d ' E t a t du 4 août 1936). Cette période nous apparaît donc c o m m e un début de la période de d é s o r d r e constitutionnel qui a suivi ( 1936-

1952), période dûe à la dictature du 4 août, l'occupation et la guerre civile.

3. Auxquelles il faut ajouter les deux «Constitutions» promulguées par la dictature mili- taire en 1968 et en 1973, lesquelles en fait ne sont jamais entrées en application.

4. Cf. S V O R O N O S (Nicolas), Histoire de la Grèce m o d e r n e 3ème édition, P . U . F . , Col- lection «Que sais-je?», Paris, 1972, p. 125: «Le sens p r o f o n d de l'histoire néo-hellénique p e u t ainsi se r é s u m e r : c ' e s t l'histoire des efforts laborieux d ' u n vieux peuple p o u r s ' é r i g e r en nation m o d e r n e , p r e n d r e conscience de son c a r a c t è r e p r o p r e et s ' a s s u r e r sa p l a c e en tant q u ' e n t i t é définie d a n s l'ensemble du m o n d e moderne».

des règles constitutionnelles ne fleurissent q u ' a p r è s cette date. Cependant au moment du coup d ' E t a t du 21 avril 1967, une période de retour à la vie politique normale allait déjà s'achever; les chefs des deux plus grands par- tis, Georges Papandréou, de l'Union du Centre, et M. Panayotis Canello- poulos, de l'Union Nationale Radicale, avaient pris contact en vue de l'apaisement des passions politiques et avaient même signé, en présence du roi Constantin, un mémoire clandestin qui prévoyait des élections lé- gislatives pour la fin mai5. Aussi, depuis le 20 décembre 1966 (date de la chute du gouvernement Stéfanopoulos, dit des «apostats») la solution dé- mocratique du problème politique et institutionnel était déjà en vue. Il semble que les deux leaders politiques étaient convenu de former un gou- vernement de coalition si aucun des deux grands partis ne disposait de la majorité absolue des sièges après les élections prévues pour le 28 mai 19676; une participation de la Gauche Démocratique Unifiée au gouverne- ment devenait de la sorte impossible7. Il apparaît même aujourd'hui que retirant sa confiance au gouvernement Paraskévopoulos8 et formant en- suite un gouvernement composé uniquement de députés de son propre parti, M. Panayotis Canellopoulos avait pour but principal de diminuer les risques de coup d' Etat9 et de procéder à des élections dans les délais convenus.

8.—La parenthèse de la dictature. — En dépit du discrédit des institu- tions qu'il avait provoqué, le coup de force royal n ' e n était donc pas arrivé au point de les disloquer. La capacité démocratique du pays avait été prouvée indubitablement10. Le Peuple allait se confirmer à sa place de souverain. Or, les forces auxquelles les options du Peuple grec n'allaient pas plaire, n'avaient d'autre alternative pour imposer une solution conforme à leurs intérêts, que le coup d ' E t a t militaire ouvert.

La dictature militaire — qui malgré l'encouragement----ctefextérieurll n ' a jamais pu s'implanter — apparaît actuellement aux yeux des grecs comme une odieuse parenthèse à leur histoire. Sur le plan de l'histoire constitutionnelle cette période est très circonscrite. Ayant renversé par la 5. Voir CANELLOPOULOS (Panayotis), Essais historiques, Athènes, 1975, pp. 98-102.

6. Voir ibid., pp. 126-127. Ou un gouvernement transitoire de la droite conservatrice.

Voir CALOGEROPOULOS (André), La crise politique grecque de 1965-1967, Paris, mé- moire de D.E.S., dactylographié, 1968, p. 114.

7. Que les communistes seraient devenus arbitres de la situation politique est un des arguments les plus répétés par les porte-parole de la dictature pour justifier le coup d'Etat.

8. Voir CANELOPOULOS (Panayotis), op. cit., pp. 125-126.

9. Ibid., p. 140. C'est peut-être la cause principale pour laquelle la «grande junte» des généraux a été prise de vitesse par la «petite», celle des colonels.

10. La période 1965-1967 a d'ailleurs fourni la plus grande partie des références qu'ont mises en relief pour soutenir leurs thèses les partis du centre et de la gauche, victimes des prérogatives royales malheureuses.

11. Cf. MAVROS (Georges), Le soutien américain à la dictature, La Tribune, 11 mai 1977.

violence un gouvernement de l'Union Nationale Radicale12, le grand parti de la droite conservatrice, les conspirateurs ont vu se dresser contre eux tous les courants politiques. Leurs échecs consécutifs sur tous les plans accentuaient d'année en année leur isolement, et la tragédie chypriote a amené l'effondrement de leur régime sous la malédiction générale. Ainsi la dictature a été, négativement, l'artisan de l'union nationale. Le partage psychique des grecs en «nationaux» (bien pensants) et «non nationaux»

(mal pensants), substitué depuis 1936 au partage entre vénizélistes et anti- vénizélistes, ce dernier datant de 1915 (voir infra N° 106), a pris définiti- vement fin dans l'opposition à la dictature.

Aussitôt après la chute du régime dictatorial, le rétablissement de la légitimité démocratique (voir infra N° 85) a pris la forme d'une remise en vigueur de la Constitution de 1952. Cependant ce n'était là qu'une solution provisoire. Les nécessités d'une certaine épuration de l'appareil étatique et surtout les dangers extérieurs qui, dans l'été 1974, menaçaient la Grèce, imposaient que les élections n'eussent pas lieu dans l'immédiat. On se trouvait, à l'époque, devant une situation particulière: chacun espérait une nouvelle Constitution conforme à ses propres idéaux (voir infra N° 29), mais tous étaient ébranlés par les souvenirs de la dictature et tout le monde prenait comme point de départ de ses raisonnements la Constitution de 1952. C'est précisément dans cette période que les constituants de 1975 ont puisé leurs expériences de vie politique démocratique.

2. LES G R A N D S THÈMES D E LA P A T H O L O G I E D U RÉGIME.

9 . - L e s trois r é a l i t é s . - I l convient, avant de procéder à l'analyse du régime constitutionnel de la période 1952-1967, d'avoir en vue les grandes causes qui provoquaient alors les à-coups au fonctionnement régulier des institutions, causes sous-jacentes à toute l'évolution de la vie nationale. Il s'agit de l'esprit de la guerre civile, des tendances monarchiques du c h e f de l'Etat, enfin de l'impossibilité d'alternance normale au pouvoir. Nous rencontrerons les manifestations de ces trois réalités tout au long de nos développements relatifs à la période en question.

1 0 . - L ' e s p r i t de la guerre civite.—Bien que la guerre civile ait pris définitivement fin en 1949, le régime de la démocratie royale n ' a p a s su réaliser la réconciliation nationale. On est fondé à dire qu'il a préféré, au moins jusqu' en 1961, un climat de guerre civile continue où, si une terreur anticommuniste ne régnait pas toujours, les mesures anticommunistes jou- aient néanmoins un rôle certain. Du moment que les vaincus de la guerre civile représentaient une partie non négligeable du Peuple, le refus de leur récupération ébranlait le consensus nécessaire à tout régime.

Une intervention du ministre de la Justice en 1962 est caractéristique 12. Voir CANELLOPOULOS (Panayotis), op. cit., p. 140.

de l'idée que se faisait l'Etat officiel des vaincus de la guerre civile. Le débat portait dans la Chambre sur une disposition punissant «la divulga- tion de toute manière des slogans, des décisions ou de l'action illégale du Parti Communiste de Grèce dans la mesure où elle est faite avec objectif manifeste la publicité et le renforcement du Parti Communiste» (article 7 du projet de loi «de la réglementation de questions relatives à la sécurité du pays»). Répondant aux critiques de l'opposition centriste (vénizéliste) M. Constantin Papaconstantinou dit: «Comment est-il possible qu'une dis- position tellement précise et claire (...) inspire des inquiétudes et des craintes à ceux qui savent qu'ils ne vont pas se trouver touchés par la

d i s p o s i t i o n , à c e u x q u i s e t r o u v e n t d a n s l a f a m i l l e n a t i o n a l e ? » 1 3 .

L e s p r o l o n g e m e n t s d e c e c l i m a t p s y c h o l o g i q u e d a n s l a v i e q u o t i d i e n n e é t a i e n t t r è s c o n s i d é r a b l e s . « P o u r a v o i r u n p e r m i s d e m a r c h a n d d e s q u a t r e - s a i s o n s e t l ' e n l e v e r à s o n r i v a l d u q u a r t i e r , o n d e v e n a i t " n a t i o n a l " e t o n d é n o n ç a i t l ' a u t r e c o m m e " a n t i n a t i o n a l " » , r e m a r q u e f o r t b i e n M . E l i e I l i o u 1 4 .

E t l e t r è s m o d é r é r a p p o r t e u r g é n é r a l d e l a C o n s t i t u t i o n d e 1 9 7 5 1 5 a r a p p e l é q u ' e n 1 9 5 2 , l o r s q u ' i l é t a i t m i n i s t r e d e l a J u s t i c e , il f u t â p r e m e n t c r i t i q u é a u n o m d e l ' i d é e d e l a N a t i o n q u a n d il a d o p t a d e s m e s u r e s d ' a p a i - s e m e n t e t d e c l é m e n c e p o u r l e s v a i n c u s d e l a g u e r r e c i v i l e .

1 1 . - L e s t e n d a n è e s m o n a r c h i q u e s d u C h e f d e l ' E t a t . — L a v o l o n t é d u r o i d e j o u e r u n r ô l e p o l i t i q u e p r o d u i s a i t s e s e f f e t s n é f a s t e s à l a m a r c h e n o r m a l e d u p a y s d è s q u e l e p r e m i e r m i n i s t r e r e f u s a i t d ' e n t é r i n e r l a v o l o n t é r o y a l e . O n a a i n s i p u p a r l e r d ' u n e c o n c e p t i o n o r l é a n i s t e d u r é g i m e p a r l e - m e n t a i r e 1 6 . C e q u ' i l f a u t s i g n a l e r , c ' e s t q u e l a d r o i t e a c c e p t a i t p l u s f a c i l e - m e n t d e c o u v r i r l e s i n i t i a t i v e s r o y a l e s q u e l e s v é n i z é l i s t e s , q u i p r o t e s t a i e n t f o r t l o r s q u ' i l s d e v e n a i e n t l e s v i c t i m e s d u p a l a i s . M a i s p e r s o n n e n ' é l e v a i t l a v o i x q u a n d c ' e t a i t l e c a m p a d v e r s e q u i e n p â t i s s a i t .

D ' u n a u t r e c ô t é , l ' a p p u i r o y a l é t a i t t o u j o u r s l e b i e n v e n u c h e z l e s h o m m e s p o l i t i q u e s . A i n s i l e j o u r n a l o f f i c i e u x d u p a r t i d e M . C a r a m a n l i s p u b l i a j a d i s 1 7 u n e d é c l a r a t i o n d u p r e m i e r m i n i s t r e d a n s l a q u e l l e c e l u i - c i s e t a r g u a i t d e b é n é f i c i e r a u m ê m e t i t r e e t d e l a c o n f i a n c e d u P e u p l e e t d e l a c o n f i a n c e d u R o i .

1 2 . — L ' a l t e r n a n c e d i f f i c i l e . — M a i s l a c l a s s e p o l i t i q u e n e f u t p a s m e n é e q u e p a r l a c o u r o n n e . L e c l i m a t q u i p e r s i s t a i t d e p u i s l a g u e r r e c i v i l e f a u s s a i t l e j e u p a r l e m e n t a i r e . L a d r o i t e c o n s i d é r a i t p r e s q u e q u e l e p o u v o i r l u i r e v e -

13. Procès-verbaux officiels de la Commission spéciale parlementaire de l'article 35 de la Constitution, 27 juillet 1962, p. 20. .C'est nous qui soulignons.

14. Sous-commissions, 24 janvier 1975, p. 59.

15. Voir PAPASPYROU, Chambre des députés, 31 mars 1975, p. 63.

16. Voir GAUDEMET (Paul-Marie), Le pouvoir exécutif dans les pays occidentaux, Pa- ris, éditions Montchrestien, 1966, p. 60.

17. Voir Le Quotidien, 28 mars 1963.

nait de droit. Le professeur Duverger a de la sorte parlé d'élections diri- gées où les diverses interventions de l'appareil étatique contre l'opposition

«diminuent la sincérité du scrutin 18». Le président Caramanlis19 a aussi insinué que la dictature pourrait être évitée si la classe politique, c'est-à- dire ses adversaires du centre et de la gauche, acceptait son retour au pouvoir à l'exemple de l'attitude du président Guy Mollet qui facilita le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958.

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