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Section 3- La place de la notion en droit comparé

II- Le cadre dans le droit international

Le cadre est défini par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) (A) qui reprend les critères du droit communautaire (B).

A- La définition de l’Organisation Internationale du Travail

106. Dans le « Recueil de principes et de bonnes pratiques concernant les conditions

d’emploi et de travail des travailleurs intellectuels », adopté en 1978, l’Organisation Internationale du Travail définit le cadre comme une personne :

- « qui a terminé un enseignement et une formation professionnelles de niveau supérieur ou qui possède une expérience reconnue équivalente dans un domaine scientifique, technique ou administratif et

- qui exerce, en qualité de salarié, des fonctions, à caractère intellectuel prédominant, comportant l’application à un haut degré des facultés de jugement et d’initiative et impliquant un niveau relativement élevé de responsabilité.

Cette notion englobe également toute personne répondant aux deux dernières caractéristiques qui détient, par délégation de l’employeur et sous son autorité, la responsabilité de prévoir, diriger, contrôler et coordonner les activités d’une partie d’une entreprise ou d’une organisation avec le pouvoir de commandement correspondant, à l’exclusion des cadres dirigeants ayant une large délégation de l’employeur. »

Dès lors, l’identification du cadre en droit international, résulte, une fois encore, d’éléments empruntés aux fonctions, responsabilités et compétences du salarié.

B- La reprise des critères communautaires

107. L’OIT reprend les critères dégagés dans le droit communautaire :

- les fonctions : la référence à l’exercice de fonctions emportant « l’application à haut degré

des facultés de jugement et d’initiative » ne surprend pas ; ces fonctions peuvent comporter, ou non, l’exercice d’un commandement par délégation de l’employeur. Le cadre peut, indifféremment, avoir la responsabilité d’organiser, diriger et contrôler les activités d’autrui ou se consacrer, par exemple, à des travaux de recherche en laboratoire.

- les responsabilités : les fonctions dévolues au cadre impliquent « un niveau relativement élevé de responsabilité. » Nuancée, la formule permet de couvrir l’ensemble des tâches susceptibles de lui être confiées et des étapes de sa carrière.

- les compétences : la compétence du cadre résulte soit de la formation suivie, soit de l’expérience acquise au fil des ans (encore faut-il que l’apport de celle-ci soit reconnu équivalent à celui résultant d’une formation de niveau supérieur). Cette reconnaissance peut émaner des pouvoirs publics, des partenaires sociaux, de l’employeur.

Cependant, si elle est porteuse d’une définition, la formule de l’Organisation Internationale du Travail l’est également d’une exclusion : la notion de cadre doit être entendue de manière stricte, limitée à ceux qui ont rang de chef d’entreprise ou à ceux qui assument, sous la seule autorité de ce dernier, la responsabilité des grandes directions de l’entreprise, qu’elles soient géographiques ou fonctionnelles.

Même s’ils ne sont pas exclus du groupe des salariés (et ils ne sauraient l’être eu égard au contrat de travail qui les unit à leur entreprise) ces cadres dirigeants sont, dans l’esprit du texte adopté par l’Organisation Internationale du Travail, hors du champ de la norme sociale. En se faisant l’écho des dispositions nationales, légales ou conventionnelles, qui les écartent de la liste de leurs bénéficiaires, cette définition place, donc, les cadres dirigeants, dans une situation hybride, plus riche de contraintes que de protection.

108. Par conséquent, entre les cadres dirigeants et ceux qui ne relèvent pas de ce cercle

restreint, une ligne de fracture est perceptible. Les premiers ont plutôt le comportement de chefs d’entreprise et sont généralement perçus comme tels ; les seconds tendent à se rapprocher des autres salariés de l’entreprise : les normes qui les gouvernent, à quelques exceptions près, sont similaires, leurs conditions de travail ne sont pas nécessairement très éloignées, leurs comportements et revendications se rejoignent (le refus des délégations de pouvoir, par crainte des responsabilités qui s’y attachent, n’est plus un phénomène exceptionnel).

Ainsi, dans les Etats membres de l’Union Européenne, la séparation entre travail salarié et travail indépendant reste primordiale ; seuls, de rares états, comme l’Allemagne et l’Italie, ont reconnu une nouvelle catégorie de travailleurs, à mi-chemin entre les deux autres. La nécessité de prévoir une remise à jour de la distinction entre les deux catégories, pour l’adapter au changement de l’organisation du travail, se manifeste dans de nombreux pays, mais il est prématuré d’affirmer que le système binaire a été dépassé, au plan international, pour accueillir trois catégories de travailleurs.

109. Nous constatons, également, que le droit international opère une scission entre ces

cadres de haut niveau et les autres salariés. En effet, les premiers participent à la fonction de « chef d’entreprise » et présentent des particularités fortes ; il s’agit alors de salariés atypiques.

* * *

110. En guise de synthèse, il faut constater, que, dans notre pays, la notion de cadre, floue

depuis son instauration, s’est complexifiée avec les types d’activité, les tailles des entreprises et les accords de réduction du temps de travail.

Aujourd’hui, le cadre doit détenir des compétences nouvelles et polyvalentes, il peut aussi bien être le « coach » de l’équipe, que le gestionnaire d’un budget. Désormais, il doit faire preuve de diplomatie et son talent de communication, constituera souvent une corde primordiale à son arc. En effet, durant la dernière décennie, la structure d’encadrement des

entreprises françaises a considérablement évolué, donnant la priorité aux fonctions de gestion des savoir et des relations avec l’extérieur. Cette dynamique a modifié, en profondeur, la place et le rôle des cadres dans l’entreprise ainsi que leurs comportements sur le marché.

111. La figure traditionnelle du cadre, détenteur d’une formation technique ou

scientifique de haut niveau et exerçant une fonction de commandement, par délégation de l’employeur, s’est estompée. De même, les normes de la « carrière à vie » et de l’ascension interne, pièces maîtresses du « pacte de confiance » signé autrefois entre les cadres et les directions, sont devenues moins courantes. Sous l’effet conjugué d’une large diffusion des Technologies de l’Information et de la Communication, d’une montée du niveau général des connaissances et de leur intégration dans des logiques productives, de plus en plus soumises à un régime de concurrence fondé sur l’innovation, les cadres se retrouvent aux avant-postes des changements technologiques et organisationnels, dans un rapport très complexe vis-à-vis des entreprises.

Modèles emblématiques de nouvelles pratiques et de nouvelles formes d’engagement et d’implication, mais, aussi, laissés-pour-compte de modes de gestion de la « ressource humaine » de plus en plus axés sur l’autonomie, la responsabilité et la capacité créatrice des individus, les cadres forment une catégorie de salariés confrontée à des logiques complexes de définition de leur identité professionnelle. Dans un environnement concurrentiel, où les entreprises sont sans cesse tenues à une « obligation d’invention », elles ont tendance à privilégier l’autonomie, l’initiative et la flexibilité dans leurs stratégies, et le profil du cadre évolue vers celui d’« ingénieur des connaissances ».

Dans cette logique, la fonction d’encadrement ne peut plus s’accorder avec une activité d’organisation et de gestion de la production figée dans une séparation du travail et du travailleur, en vue de gérer tout un système de contrôle et d’exécution des opérations définissant les tâches.

112. Le cadre joue, avant tout, un rôle de médiateur visant à la mobilisation de capacités,

qui sont d’ordre technique, scientifique ou psychologique.

Par conséquent, les cadres, impliqués à des degrés divers dans ces différentes tâches, constituent une catégorie d’actifs pour lesquels le travail dépasse largement les fonctions qui leur sont contractuellement dévolues.

L’activité des cadres se situerait « au-delà de l’emploi » qu’ils occupent officiellement133

Ainsi, une première ligne de démarcation se formerait entre, d’un côté, des individus dotés essentiellement de qualifications officielles fortement ancrés sur les postes figurant dans l’organigramme des directions et, de l’autre, des personnels riches en compétences officieuses, notamment en savoir organisationnels, déployés par rapport aux postes et ayant, par ailleurs, une aptitude à s’approprier de nouveaux savoir.

F. FAVENNEC-HERY résume les difficultés à appréhender la notion, en écrivant : « La catégorie des cadres est extrêmement diversifiée : cadre encadrant, cadre commercial, cadre expert, cadre administratif, cadre technique… Il ne s’agit nullement d’une population homogène. Elle flirte de plus avec deux extrêmes. Les assimilés cadres, qui, dans certaines circonstances, bénéficient du même régime et à l’opposé, les dirigeants qui, selon les hypothèses, sont ou non traités comme des salariés… La limite entre cadre et non cadre fluctue en fonction des intérêts en jeu. Celle entre cadre et dirigeant n’est pas toujours d’une grande clarté. »134

Certes, la négociation et notamment les accords d’entreprises135 ont permis de mieux cerner cette notion pragmatique, polymorphe en fonction de l’entreprise, mais à l’inverse, la multitude des accords signés est venue renforcer les diversités et les hétérogénéités des catégories rencontrées.

C’est ainsi que l’on s’aperçoit que le droit du travail traditionnel, avec ses analyses monolithiques, n’est plus en phase avec cette population de salariés ; ses dispositions protectrices semblent désuètes, en décalage avec les réalités du monde du travail du XXIème siècle136.

134 F. FAVENNEC-HERY, « Temps de travail des cadres, temps de travail de demain ? », Liaisons, coll. Droit Vivant, 2003, p. 13

135 Voir en ce sens, J. BARTHELEMY, « Le professionnel libéral et les 35 heures », Dr. Soc. Mai 2000

La définition peut être renvoyée aux conventions collectives, la délégation de pouvoirs, les élections professionnelles ou le régime de retraite ; ce qui débouche sur une définition fonctionnelle.

136 Voir en ce sens, l’enquête réalisée par la CFDT, « Les cadres, une catégorie en pleine évolution », Entreprises et carrières, 31 mai 2004.

La CFDT a mené une enquête sur l’année de 2002 pour dresser le panorama de la fonction cadre. Aujourd’hui, les cadres forment ainsi une population hétérogène qui recouvre des réalités très diverses. Passée l’implication au travail qui les conduit à travailler largement plus que les 35 heures légales, passée la gratification symbolique de la fonction et la relative autonomie qui leur est associée, l’unité du statut semble se déliter en une multitude de situations particulières. La montée en nombre des experts, liée, notamment, à l’externalisation vers les cabinets de conseil de certaines fonctions, mais aussi à l’introduction massive des NTIC, tend même à promouvoir l’image d’un cadre qui n’encadre personne et qui passe les trois quarts de son temps dans d’interminables conciliabules avec son ordinateur ! De plus en plus de cadres travaillent en solitaires ou cherchent même à fuir l’entreprise en s’installant à leur compte, ce qui pose la question de savoir si l’encadrement est véritablement une catégorie sociale ou s’il ne s’agit pas, plutôt, d’une catégorie subjective. Quel est l’ancrage social d’une population de plus en plus solitaire ? Le pouvoir des cadres semble moins reposer, aujourd’hui, sur la technique et son organisation que sur un rôle de mise en convergence des compétences ou des expertises, c’est-à-dire, en partie, un travail sur l’information qui implique une forte dimension virtuelle.

113. Il est incontestable que les cadres quasi-indépendants, regroupés dans les cadres de

direction ou les cadres autonomes, se démarquent des autres catégories de salariés, en raison de l’inadaptabilité croissante des dispositions du Code du travail à cette population, de plus en plus éloignée du salariat traditionnel . Dans le nouvel environnement socio-économique qui fait éclater les notions d’espace et de temps, autour desquelles s’est bâtie la législation sociale de la société industrielle, le contrat de travail classique apparaît incongru pour le cadre quasi-indépendant et s’avère, en outre, impuissant à assurer la protection de l’individu. (Première partie).

114. Il est désormais urgent de réfléchir à la construction d’un régime juridique mieux

adapté. Après plusieurs décennies d’expansion, le Droit du travail présente des signes d’essoufflement, qui rendent légitimes de nouvelles approches. Il est temps de faire profiter tous les actifs de certains avantages sociaux obtenus par les salariés, en instaurant un Droit de l’activité, susceptible de regrouper un corps de règles d’application générale, au-delà du clivage traditionnel entre activités salariées et activités indépendantes. L’abandon du statut salarié, par les cadres quasi-indépendants, ne peut, cependant, se concevoir qu’avec la mise en place d’un dispositif juridique protecteur, en raison de leur dépendance économique. (Deuxième partie).

PREMIERE PARTIE L’INADAPTATION CROISSANTE DU DROIT DU