• Aucun résultat trouvé

- Quelle applicabilité pour le développement soutenable ? Le développement soutenable de la théorie à la

entropie ou anthropocentrisme

Chapitre 5 - Quelle applicabilité pour le développement soutenable ? Le développement soutenable de la théorie à la

pratique

Ce chapitre visera notamment à analyser les instruments et pratiques mis à disposition afin de mener des politiques de développement soutenable. La définition du développement soutenable posée dans ce document est toujours restreinte au champ écologique, bien que la notion de développement soutenable soit plus large que le domaine écologique. Le terme de développement durable, quant à lui, sera utilisé dans le cadre de la compréhension générique du développement soutenable, surtout au niveau des définitions dans le langage courant. La dimension écologique étant la plus discutée au niveau scientifique et au niveau de la conscientisation, je rappelle encore une fois qu’il est un choix de ma part de limiter mon analyse à ce domaine, sans toutefois nier l’importance des autres dimensions (sociales, économiques et de stabilité politique).

Cependant, il me semble que plus encore dans ce chapitre, la restriction au domaine écologique est nécessaire, afin de montrer en quoi il est de plus en plus difficile de l’intégrer aux autres dimensions. L’écologie est souvent l’élément le plus mis en avant dans le discours du développement durable, mais il est également le plus controversé dans sa mise en pratique du fait des nombreuses incertitudes scientifiques et des bouleversements de mode de vie conséquents à une prise en considération de ces enjeux. Comme expliqué dans le chapitre précédent, la médiation entre l’économique, le social et l’écologique se fait presque systématiquement entre le social et l’économique du fait des préoccupations à court terme des sociétés actuelles et des nombreux déséquilibres sociaux ou politiques nécessitant de construire des solutions à court terme également. Les déséquilibres écologiques semblent souvent loin des préoccupations immédiates et les effets ne se font ressentir que dans un horizon plus lointain. De ce fait, la recherche des pratiques et politiques du développement soutenable dans sa dimension écologique reste encore que peu avancée.

Dans un premier temps, la discussion sur les interprétations possibles du développement soutenable et sur ses politiques d'application sera prolongée par les répercussions et les applications possibles au niveau international. Alors que le débat sur la priorité accordée aux trois pôles du développement durable formant un équilibre précaire mériterait d'être discuté avant toute application de

politique, la mise en place des indicateurs déterminés technocratiquement, a remplacé la réflexion politique. Si aujourd'hui la nécessité d'intégrer la problématique environnementale semble évidente dans le discours international, sa place dans la hiérarchie des préoccupations reste encore minimisée. A ce niveau, la mise en place réelle de "l'agenda 21"262 s'effectue avec plus de difficultés que l'application des règles de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Suite aux réflexions développées dans le chapitre précédent, il sera démontré que la croissance économique demeure l'objectif principal des politiques, ensuite viennent les considérations "sociales" (lutte contre la pauvreté, lutte contre les inégalités, lutte contre le chômage et la précarité, lutte contre les différentes formes d'exclusions sociales) et, finalement, les différentes tensions issues des enjeux environnementaux. Les enjeux liés à la prise de conscience nationale et locale aussi bien qu'internationale sur le bien public global et l’évolution environnementale nationale nécessite de mettre en place une discussion sur les différents objectifs en jeu et les priorités dans les politiques nationales et internationales. Alors qu'à l'heure actuelle, ces discussions ne sont point encore abouties, des normes et des politiques internationales et nationales sont mises en place selon un ensemble d'indicateurs définis par consensus et commissions internationales. Mais la question qui se pose est de savoir quelle est la validité de ces indicateurs alors que les objectifs qu'ils sous-tendent restent flous et conflictuels.

Il est ainsi intéressant de noter que les trois enjeux - économiques, sociétaux et environnementaux - dont nous parlons ne se situent pas au même niveau. La croissance économique est un moyen pour un développement économique, processus permettant l'organisation d'une société, dont les enjeux sociétaux forment la base des objectifs déclarés du développement d'une société. Les enjeux environnementaux se manifestent à un niveau plus élevé puisqu'ils conditionnent la viabilité du milieu dans lequel évolue l'habitabilité, il s'agit des conditions nécessaires de reproduction du milieu dans lequel les autres dimensions peuvent évoluer. Les trois types d'enjeux ne se situent donc pas au même niveau de réflexion, ni de préoccupation, ni même de champ théorique. La hiérarchie logique serait de respecter ces niveaux différents, la croissance économique n'étant qu'un moyen pouvant être utilisé pour répondre à certains besoins sociétaux (stabilité sociale, politique). L'équilibre ne paraît pouvoir être

262 Ensemble de mesures d'applications nationales promises suite à la signature de la conférence internationale sur l'environnement à Rio de Janeiro en 1992.

réalisé si les trois enjeux sont considérés sur le même niveau de priorité.

Les lois qui régissent le monde écologique nous dépassent bien plus que nous ne l'imaginons, alors que les lois économiques sont des construits sociaux.

"Le concept de développement durable met l'accent sur la compatibilité à long terme des aspects économiques, sociaux et environnementaux et du bien-être de l'individu."263 La problématique politique à long terme est de trouver un juste équilibre entre ces différents objectifs et des retombées possibles (alors que les politiciens ont généralement tendance à penser à court terme, 4 ou 5 ans selon l'échéance de leur mandat). Au vu de la place prépondérante qu'occupent les objectifs économiques, il devient essentiel de mettre en place une définition plus solide du développement durable dans le discours économique dominant et dans les pratiques politiques. Comme le souligne l'OCDE, la concurrence entre ces différents objectifs dans le court terme explique le peu de résultats dans la mise en œuvre politique.

Dans un deuxième temps, l'objectif sera de démontrer que les indicateurs de développement durable264, tels qu'ils sont utilisés actuellement, ne sont souvent pas suffisamment développés pour assurer les différentes fonctions dans la mise en place de politiques concrètes de développement soutenable. Ils permettent de poser quelques repères sur certaines politiques environnementales265 mais sans être suffisamment homogènes pour être des normes applicables. De fait, les indicateurs n'intègrent pas les causes et conséquences localisées des dégradations écologiques, ont des implications à des échelles géographiques différentes et ne permettent pas l'homogénéisation des normes. Ainsi, les analyses écologiques peuvent porter à l'échelle de la planète (vision globale) jusqu'à une échelle très localisée. De ce fait, les objectifs des politiques écologiques seront différents à chaque niveau de prise de décision ainsi que la définition du champ d'application de chaque indicateur selon sa fonction.

Dans la discussion qui suivra, il sera notamment démontré que le flou de définition du concept de développement durable a des répercussions sur les applications possibles dans les politiques à mettre en place. La définition des

263 OCDE (2001a)

264 Il s'agit bien d'indicateurs de développement durable, dont la définition reste floue du fait des raisons exposées dans le chapitre précédent.

265 Je différencie les politiques environnementales et les politiques de développement soutenable puisque leurs objectifs sont différents, comme suggéré dans le chapitre précédant, développé dans la suite de ce chapitre.

indicateurs en sera l'exemple dans un deuxième temps de ce chapitre, puisque les normes et politiques en la matière sont ensuite définies par ces indicateurs promus au rang d'objectifs. Les véritables objectifs restent ainsi flous et la discussion nécessaire à ce sujet ne se fait pas encore concrètement au niveau politique. La confusion faite entre les objectifs et les moyens se reflètent dans celle entre les différentes fonctions des indicateurs (normes, indicateurs, contraintes ou objectifs).

5.1. - Exigences nationales et internationales: pour quel développement soutenable?

5.1.1. - Au niveau international: la globalisation lieu de conflits entre intérêts commerciaux et intérêts écologiques?

La globalisation n'est pas un phénomène nouveau et renvoie avant tout à la dimension économique des échanges entre Etats. Cependant, il faut convenir que si les échanges de biens et services datent de nombreuses décennies, voire siècles, la forme qu'ils ont pris aujourd'hui est à bien des égards plus contraignante; et ils soulèvent des problèmes plus larges que le seul domaine économique. Si nous reprenons l'histoire récente des échanges internationaux, nous comprenons aisément que ces échanges résultent d'une pression commerciale et politique de diffusion de la croissance économique, d'accumulation de profit et de mécanismes de production, voulue ou subie par des Etats aussi bien que des compagnies marchandes. Graduellement, les entreprises nationales, privées ou publiques, actrices principales des échanges vont s'internationaliser et mettre en place des interpénétrations entre les marchés nationaux. C'est pourquoi la mondialisation évoque l'interdépendance entre les nations, du fait du décloisonnement entre les différentes étapes de la production mais intégrés dans le calcul de la comptabilité au niveau national266 et également intégrés dans une logique de production mondiale (voir les indicateurs de transnationalisation267 des entreprises). De plus, la spécialisation et la division

266 Voir l'évolution du PNB en PIB puis en RNB (Le Produit National Brut prend en compte la somme de la valeur ajoutée produite par les entreprises nationales sur le territoire et à l'étranger alors que le Produit Intérieur Brut, qui lui a été préféré par la suite, prend en compte la production des entreprises sur le territoire national, que ces entreprises soient étrangères ou nationales. Et le Revenu National Brut, nouveau agrégat depuis 2004, prend en considération les deux types de production, étrangères et nationales sur le territoire national, ainsi que les nationales à l'étranger, ce qui rend compte de l'évolution de la localisation et de la gestion internationale des productions).

267 L'indicateur de transnationalisation est utilisé par la CNUCED (Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement) et définit le degré d'internationalisation des entreprises transnationales en mesurant le nombre de nationalités différentes des détenteurs de parts de capital de la société.

internationales du travail des sociétés de production et de vente dans le processus de production, ainsi que dans le processus d’échange (ventes, services, financiarisation), augmentent encore le nombre d’échanges internationaux de biens intermédiaires, non finis, accroissant ainsi les connections interdépendantes entre les nations. De ce fait, les processus de productions, diversifiées au départ en termes de stratégies d’avantages de facteurs de production (ressources, main-d’œuvre, technologie et capital), tendent à s'homogénéiser et le modèle de production dominant va se diffuser, ainsi que le modèle de comptabilité et la pensée qui l’accompagnent268.

La globalisation a des implications différentes mais fortes dans les structures, les institutions et les organisations sociales, politiques, économiques et culturelles des pays touchés par ces phénomènes. Les organisations internationales jouent un rôle capital dans la mise en place de ce processus, via une régulation internationale des échanges commerciaux ou de financiarisation. La théorie économique est alors le fondement de l’expansion d’un modèle de développement unique, du fait des régulations ou des conditions dans lesquelles les échanges interdépendants se situent. Les organisations internationales peuvent également être des acteurs importants du fait de la financiarisation des échanges monétaires et commerciaux ayant contribué à des dettes et à des investissements financiers virtuels internationaux (ou encore via des programmes d’aides liées de restructuration politique des Etats bénéficiaires). Il est alors nécessaire de mettre en place ces organismes permettant la stabilisation des économies et des balances financières, et ainsi accentuer l’homogénéisation des modèles de politiques économiques et de gestion. Du fait de cette interdépendance croissante entre les différents Etats-Nations et de l’imbrication de leurs économies, la régulation ou les incitatifs internationaux prennent une place prépondérante afin de mieux coordonner ou de sauvegarder un ensemble cohérent de règles de fonctionnement permettant à l’ensemble du système de propager des valeurs communes (droits humains dont les droits politiques, culturels, règles de travail) et de diffuser un standard de niveau de vie décent.

Dans cette optique, un certain nombre de ces valeurs et de ces politiques sont discutées au niveau international afin d’obtenir un consensus sur les priorités et les "biens publics" liés au bon fonctionnement du "système mondial". Selon

268 Hufty Marc (1999)

Christian Comeliau269, "trois des caractéristiques du système mondial, né de la domination occidentale et en expansion depuis quatre ou cinq siècles: la philosophie individualiste sur laquelle il se fonde, son économisme productiviste et l'importance qu'il accorde aux mécanismes du marché. Ces caractéristiques se trouvent récemment renforcées dans le cadre de la "mondialisation" ou de la

"globalisation"".

La globalisation permet ainsi d’étendre à toute la planète des modes de production économique, mais également des modèles politiques ainsi que des valeurs culturelles.

De cette réflexion est issue la discussion autour des biens publics globaux afin de protéger et de réguler ce qui n’est pas pris en compte par la logique marchande, comptable et privée des entreprises. En effet, dans la théorie économique, il existe plusieurs manières de gérer les relations économiques.

L’économie mixte270 est un mélange entre les approches complémentaires d’économie marchande (privée) et collective (publique). L’économie marchande est l’approche développée pour répondre à un problème économique privé (la discussion sur le fait qu’un bien soit privé ou public relève du choix politique). Elle est fondée sur des hypothèses, celles de la concurrence pure et parfaite, fonctionne selon les règles du marché (individualisme, appropriation par exclusion, privative, demande solvable uniquement prise en compte, l’efficacité est mesurée en termes de rentabilité) et est organisée autour des règles du marché de manière relativement automatique. De son côté, l’approche de résolution d’un problème économique de type plus collectif est fondée sur la solidarité des parties prenantes (pas d’appropriation privative) en incluant des coûts et des avantages non monétaires, par choix politique, et doit être organisée autour d’institutions et de structures de processus de décision. L’économie mixte se détermine notamment par la décision politique de se servir proportionnellement des deux modèles tout en sachant qu’ils sont complémentaires. Le choix de définir un problème comme relevant d’un des deux modèles est défini de manière politique. Lorsque le choix détermine le fait qu’un bien ne peut pas être individué et que les conséquences, ou les coûts monétaires

269 Comeliau Christian (2006), p.16. A noter que selon l'auteur, le système mondial a quatre caractéristiques (individuel, productiviste et expansionniste, marchand, prométhéen (fondée sur la croyance dans le progrès représenté par plus de technologie)), des structures politiques, économiques, sociales et culturelles.

270 Cette théorisation sur l'économie mixte, mélange de l'économie marchande et non marchande, est tirée de Comeliau Christian et Leclercq Hugues (1978).

ou non monétaires, sont solidaires271, le cadre général de l’organisation de la gestion de ce bien peut être défini par une entreprise privée, une institution publique ou de manière mixte. Depuis quelques années, un certain nombre de biens relevant du domaine public national se retrouvent sur le devant de la scène internationale et semblent devoir être gérés par des institutions internationales ou en coopération internationale. Les phénomènes écologiques, que nous soyons économistes environnementalistes ou écologiques, restent globaux par nature et font partie des crises globales nécessitant une analyse en termes de "Biens Publics Globaux"272. Comme précédemment expliqué, les biens publics sont des biens qui ne peuvent pas être gérés par le marché lui-même, et qui nécessitent donc une régulation publique. Dans le cadre des biens publics globaux, nous parlons de biens qui bénéficient à des populations au-delà des frontières et des générations. La santé, l’éducation, les droits humains, la stabilité financière, la paix, la sécurité et la régulation du commerce en font partie de facto (nationalement, il s’agit d’un problème collectif). Les problèmes environnementaux, parfois définis comme "mal public"273, font également partie de ces types de biens pour ce qui est de leurs conséquences délocalisées notamment. En effet, l’environnement est sans aucun doute un "bien indivisible", caractérisé par la solidarité de situation pour l'ensemble des êtres humains et ayant par nature, comme explicité précédemment, des causes locales et des conséquences locales, régionales ou globales dont les répercussions sont bien indivisibles et collectives. Ainsi le besoin d'une gestion de ces enjeux est public bien que ces derniers puissent être discutés à tous les niveaux politiques et que la mise en œuvre puisse en être privée et locale. La question plus fondamentale qui se pose est que la gestion internationale de ces enjeux est liée au problème de gouvernance internationale, voire interétatique. Il n'existe pas de gouvernement international et ainsi la prise de décision est issue d'une négociation interétatique et ne résulte pas d'une législation internationale mais de principes et d'accords consensuels. Les enjeux de gestion des biens publics globaux comme l'environnement est de discuter d'une régulation qui se voudrait internationale mais qui reste interétatique et accuse un vide juridique entre son aspect globalisant et ses politiques nationales, voire nationalistes. Les difficultés

271 Cette notion fait appel aux situations de non exclusion et de non rivalité de Samuelson (1954):

tout le monde a accès à un bien sans exclusion, même s'il ne participe pas aux coûts de production et sa consommation ne prive pas les autres agents de la consommation du même bien, repris dans Faucheux Sylvie, Joumi Haitham (2005), p.19

272 Kaul Inge, Grunberg Isabelle and Stern Marc A. (1999)

273 Expression reprise dans Faucheux Sylvie, Joumi Haitham (2005), p.19