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Chapitre 5 : La question du consentement aux soins dans l’anorexie mentale

5.1 Altérations des capacités cognitives

44 Certains sigles et structures (CMP et ASPDT) étaient méconnus de certains participants, ce qui a nécessité d’expliciter les acronymes sur le questionnaire 24 heures après avoir débuté la diffusion de celui-ci. Durant les premières vingt-quatre heures, les réponses des participants ont ainsi pu être biaisées dans les cas où certaines propositions de réponses leur étaient difficilement compréhensibles.

De plus, nous avons utilisé des questions fermées afin que les données soient plus faciles à traiter ce qui implique que les participants n’ont pas pu répondre autre chose dans les cas où ils n’étaient pas d’accord avec les propositions.

Par ailleurs, lorsque les participants pouvaient choisir plusieurs réponses, il aurait été intéressant qu’ils aient la possibilité de faire un choix par ordre de priorité concernant les lieux de prise en charge notamment. Là encore le modèle statistique aurait été plus difficile à mettre en œuvre.

De plus, nous pouvons constater que les réponses du QCM sont influencées par les cas cliniques réalisés juste avant. En effet, 57,5 % des participants estiment que les troubles mentaux de la patiente anorexique mentale ne rendent pas impossible le consentement alors qu’ils sont 87,9 % à répondre dans le QCM que cette patiente présente des troubles du jugement.

45 a) Altération de la conscience des troubles

Le statut que les patients donnent aux comportements relevant de l’anorexie et à leurs conséquences somatiques est éloigné voire en opposition avec une nature pathologique. Ils décrivent leurs conduites comme drastiques mais menées dans une visée sanitaire et orientées vers un mieux-être global. L’évolution clinique lors des soins amène les patients à vivre une amélioration de leur état (douleurs et fatigue générale par exemple) et par conséquent à identifier rétrospectivement ces difficultés. Ces mêmes patients insistaient pourtant quelques semaines auparavant sur le fait de ne s’être jamais sentis si en forme et pleins d’énergie.

Ainsi, non seulement les phénomènes vécus et les conduites ne sont pas identifiés comme des symptômes (défaut d’attribution) mais ils ne sont pas non plus pleinement identifiés et sont même parfois totalement travestis (défaut de perception). Plutôt que de déni, on peut parler de distorsions cognitives (67). Ces distorsions sont à ce point ancrées dans le fonctionnement du patient que la dynamique anorexique devient égosyntonique, c’est-à-dire une part de l’identité du patient. Dès lors, y renoncer est un déchirement.

b) Performances cognitives et intelligence supérieur dans l’anorexie : mythe ou réalité ?

De nombreux professionnels se sont accordés sur l’idée que les patients souffrant d’anorexie mentale auraient une intelligence supérieure à la moyenne, ce qui serait étayé par certains résultats de la littérature (68) (66). Pourtant les recherches menées afin d’approfondir cette question mettent en évidence des résultats nuancés : les personnes souffrant d’anorexie ont des résultats plus faibles que ceux d’un groupe contrôle apparié dans huit des épreuves de la WAIS (69). Il existe également une asymétrie dans les résultats , le QI verbal étant plus élevé que le QI de performance (70) (71). La plupart des études centrées sur le QI global ne mettent pas en évidence de lien entre le niveau de performance cognitive et le statut pondéral (68). Il existe toutefois quelques résultats qui invitent à approfondir cette question : les performances aux épreuves visuospatiales seraient d’autant plus faible que le patient aurait atteint un IMC bas antérieurement même si son statut pondéral s’est amélioré depuis (69), suggérant ainsi des conséquences cognitives à long terme de la perte de poids.

Les études sur l’intelligence incitent à une exploration plus fine des fonctions cognitives, soit via le recours systématique aux résultats de chaque épreuve plutôt qu’au score général, soit via des tests neuropsychologiques centrés sur des fonctions cognitives ciblées.

c) Le défaut de cohérence centrale

Il s’agit de l’hypothèse d’un style cognitif qui privilégie un traitement fragmenté des informations plutôt qu’intégré en un tout global (72). Des travaux empiriques utilisant le Matching Familiar Figure Test ont été menés pour prouver cette hypothèse. Il s’agit d’une épreuve d’appariement qui a l’intérêt d’induire une incertitude importante au cours de la tâche (73). Cette épreuve visuelle est plus adaptée aux personnes qui privilégient un traitement détaillé des informations aux dépens de celles qui ont une appréhension globale des stimuli.

Elle permet en outre de quantifier l’impulsivité (de nombreuses erreurs données rapidement) et à l’opposé la réflexivité et le perfectionnisme (de nombreuses bonnes réponses données lentement). Comparativement à un groupe contrôle sain, les patients anorexiques ne se distinguent pas sur l’impulsivité ou la réflexivité. En revanche, ils obtiennent plus de bonnes

46 réponses et avec une vitesse supérieure. Ce résultat conforte avec une taille d’effet importante l’hypothèse d’un défaut de cohérence centrale.

d) Biais attentionnel

Les patients avec une anorexie mentale sont sujets à des ruminations sur des thèmes récurrents, en particulier concernant leur alimentation et leur corps. Ce phénomène est tellement fréquent et intense qu’on peut formuler l’hypothèse d’un biais attentionnel concernant les stimuli qui sont congruents à ces thèmes. Sur le plan neuropsychologique, cela peut être mis à l’épreuve avec une des déclinaisons de test de Stroop, épreuve neuropsychologique qui est classiquement utilisée pour évaluer les performances en fonctionnement exécutif. On demande au patient de dénommer les couleurs avec lesquelles sont écrits certains mots en lien avec des préoccupations classiques dans l’anorexie mentale.

On s’attend à un effet dit d’« interférence », se traduisant par une vitesse plus faible de la dénomination de la couleur pour les mots congruents à l’anorexie mentale. Ce pattern de performances résulterait d’une difficulté d’inhibition du traitement du sens du mot, alors que la tâche consiste précisément à mettre de côté ce traitement pour privilégier la seule dénomination de la couleur de la police d’écriture. Carrard et Ceshi en 2008 (65) proposent une synthèse exhaustive des recherches menées entre 1988 et 2008 : l’effet d’interférence pour le lexique alimentaire est marqué (66). Pour le lexique corporel en revanche, si un effet d’interférence a également été mis en évidence, il est moins stable et a fait l’objet de résultats négatifs. Si ce biais d’attention est assez facilement objectivé, la nature des processus sous-jacents demeure moins précise, notamment dans l’étape de traitement impliquée (66).

e) Une flexibilité cognitive défaillante

Le set-shifting correspond à la capacité de « zapper » d’une opération mentale à une autre ou d’un ensemble d’informations à un autre afin d’atteindre un objectif supra-ordonné. De faibles performances de set-shifting ont été mises en évidence dans les troubles alimentaires, auprès de patients pris en charge ou en rémission (66). Dans l’anorexie mentale, plusieurs auteurs ont proposé qu’une altération de ce processus était un facteur de risque d’apparition (74) et de maintien du trouble (75). Une telle rigidité dans le style cognitif témoignerait de dysfonctionnements cérébraux (76) et constituerait, avec d’autres phénomènes, un des traits endophénotypiques de l’anorexie (77). Dans le quotidien, ce défaut de flexibilité se traduit par des raisonnements rigides et des persévérations mentales et comportementales.

Les travaux les plus récents soulignent cependant que le manque de flexibilité cognitive est plus important pour les patients en phase aigüe de la maladie et notamment ceux avec un tableau mixte incluant à la fois la restriction et des symptômes boulimiques (78). Le défaut de flexibilité serait une caractéristique stable de la personne qui se montrerait exacerbée durant la phase symptomatique. Il est possible qu’un défaut de flexibilité cognitive soit associé à une faible flexibilité psychologique, participant au caractère envahissant des symptômes sur l’ensemble de la sphère existentielle de la personne touchée.

f) Un impact incertain sur la prise de décision et la planification d’actions

Etant donné la rigidité cognitive mise en évidence par des tâches de set-shifting, on peut s’attendre à des difficultés du même ordre pour d’autres processus exécutifs. La prise de

47 décision, de même que la planification d’actions, sont des fonctions adaptatives mobilisées face à une situation inédite pour laquelle le répertoire comportemental n’est pas pertinent. Les résultats des différentes études divergent, certaines font état de faibles performances en prise de décision quand d’autres n’objectivent pas de différence entre un groupe de patients avec une anorexie et un groupe sain (66). Les résultats étant moins convaincants que ceux relatifs à l’attention ou à la flexibilité, des travaux complémentaires s’avèrent nécessaires pour statuer sur l’hypothèse d’une altération de la prise de décision.

g) Des processus métacognitifs aggravants

Les connaissances et les croyances d’une personne sur son fonctionnement cognitif et sur ce qui l’influe correspondent aux métacognitions. Les travaux sur ce thème sont nombreux dans les troubles anxieux et obsessionnels et quelques recherches se sont intéressées aux troubles alimentaires. Comparativement aux deux groupes contrôles, l’un pratiquant un régime et l’autre non, des personnes avec une anorexie mentale rapportent une moindre confiance en leur fonctionnement cognitif, un système de pensée moins contrôlable et plus dangereux, une conscience cognitive plus aiguë et le besoin accru de contrôler les pensées (79).

Les patients évoquent le caractère atypique ou anormal de leurs pensées alors que les participants « contrôle » appréhendent leurs pensées comme des phénomènes par nature transitoires et potentiellement irrationnels.

Plutôt que permettre au patient un recul autorisant un infléchissement de son fonctionnement, les métacognitions semblent participer pleinement à ce style cognitif anorexique.

h) Biais anthropométrique

Un biais anthropométrique est mis en évidence, reflétant non plus l’influence de facteurs émotionnels mais surtout une altération de processus neuropsychologique. Guardia et al en 2013 suggèrent que l’ensemble du système de références spatiales serait altéré en lien avec une intégration déficiente des informations liées à la vision, au tactile et à la gravité terrestre (80).

i) Biais de jugement

Selon le dictionnaire de psychiatrie le trouble du jugement est : « une altération de la capacité de peser l’importance relative de faits ou d’idées abstraites et d’en évaluer les conséquences » (81).

Peu d’études ont été réalisées. Elles ont tenté d’évaluer si les patientes souffrant de TCA présentaient des biais d’interprétation et de jugement. L’existence de ce biais a d’abord été étudiée dans le cadre des préoccupations pour la silhouette ensuite pour la nourriture. Les données montrent un biais de jugement pour des stimuli relatifs à la silhouette pour les femmes souffrant de TCA ou de dysphorie corporelle, de même qu’un biais de jugement lié à la nourriture pour des personnes boulimiques (65).

La littérature scientifique semble donc accréditer l’hypothèse d’une altération de la capacité de jugement des patients. Reste que l’évaluation au cas par cas demeure complexe et éminemment subjective. Comment différencier un trouble de compréhension ou du raisonnement d’une attitude d’opposition ?

48 La réalisation d’échelles, qui pourrait être suggérée, apparait difficilement réalisable en pratique, et pourrait s’avérer peu contributive. Certaines études suggèrent en effet que les troubles du jugement dans l’anorexie mentale ne seraient pas détectés par les échelles classiques. Tan et al (82) ont ainsi montré que les difficultés rencontrées en terme de processus de pensée et de changements de valeurs, mises en évidences par des entretiens semistructurés, n’étaient pas mis en exergue par le Mac CAT-T test, échelle structurée largement validée pour évaluer la capacité de jugement (82).

j) Apports des techniques d’imagerie

Les études en imagerie retrouvent des altérations morphologiques, à type d’atrophie parenchymateuse réversible (83). Ces altérations seraient corrélées à la diminution de l’IMC, et en partie réversibles après renutrition (84).

Par ailleurs, des altérations fonctionnelles sont rapportées, avec une diminution de l’activité cérébrale notamment dans les cortex pariétaux (85), impliqués dans l’intégration des informations proprioceptives et visuelles du corps, la reconnaissance de la maladie et le système de récompense lié à la nourriture et à la satiété.

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