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L’affirmation de la supériorité de la tradition universitaire française face au reste du monde

Section première : Le public à la recherche d’une faculté de droit incarnant un génie juridique national

A. L’affirmation de la supériorité de la tradition universitaire française face au reste du monde

Le 1er juin 1888, le Petit Parisien publie un éditorial au sujet du huit centième anniversaire de l’Université de Bologne209. Les journaux parisiens ont annoncé dès le mois de janvier la tenue de célébrations au mois de juin210 pour lesquelles l’Université italienne a convié ses homologues du monde entier par une invitation rédigée en latin211. Le Conseil général des facultés ne tarde pas à faire savoir qu’il a désigné le doyen de la Faculté des lettres Auguste Himly, le professeur d’histoire Ernest Lavisse et le doyen de la Faculté de droit Claude Bufnoir212, pour représenter le corps enseignant à cette

208 Sur les différentes acceptions du mot et son adéquation à la France, où employé à l’infinitif, il peut englober l’ensemble des établissements universitaires, cf. Jean-Claude Casanova, « L’Université française du XIXe au XXe siècle. Sept thèses pour expliquer son histoire », Commentaire, n°117 (2007), pp. 193-204.

209 Jean Frollo, « Une fête universitaire », Le Petit Parisien, 1888/06/01 (n°4234), p. 1.

210 Le Temps, 1888/01/10 (n°9752), p. 4 : lors du Conseil général des Facultés, le vice-recteur Octave

Gréard, président, informe ses collègues de l’invitation des Français à Bologne. Le Conseil fait aussitôt savoir qu’il y enverra une délégation.

occasion213. L’annonce de cette cérémonie se fait dans un contexte tendu entre la France et l’Italie en raison des différends douaniers qui opposent les deux pays214. Le Petit

Parisien laisse transparaître le climat tendu qui est celui de cette fête universitaire, en se

plaçant d’emblée dans une posture de rivalité envers l’Université organisatrice. Alors qu’il publie un article commémoratif sur l’Université de Bologne, il consacre néanmoins la moitié de son propos à celle de Paris. L’ancienneté de l’enseignement juridique bolonais est certes reconnu à travers une École de droit, dont la création est exagérément datée du règne de Théodose II en 425215. Pour autant l’article verse ensuite dans une 212 Il s’agit ici des délégués de l’Université de Paris, auxquels il faut ajouter Gaston Boissier et Gaston Paris de l’Académie française. La délégation française sera finalement constituée de dix-huit personnes, avec également des représentants enseignants et étudiants des facultés provinciales de Lyon, la mieux représentée avec six professeurs, Aix, Bordeaux, Lille et Toulouse. Les contingents sont d’ailleurs mobilisés en toute hâte, à cause d’une mauvaise diffusion de l’invitation.

213 Le Temps, Le Temps, 1888/01/23 (n°9765), p. 4.

214 L’Italie a dénoncé en 1886 le traité de commerce qu’elle avait conclu avec la France en 1881, tout en en prolongeant l’application pendant la durée de renégociations d’un nouvel accord commercial. Engagées à Rome au début de l’année 1888, ces dernières n’aboutirent pas. C’est ainsi que s’engagea une guerre douanière : la France mit en place une surtaxe sur les provenances italiennes le 27 février, à laquelle l’Italie répondit le 29 par l’instauration de surtaxes considérables sur les importations françaises. Il faudra attendre le 1er janvier 1890 pour que l’Italie abroge ce tarif, qui sera suivie de la France le 1er février. C’est donc en plein début de conflit douanier que se dessinent les festivités en l’honneur du huit centième anniversaire de l’Université de Bologne. Dans une lettre adressée au député italien Massarani, qui demande le maintien de l’amitié franco-italienne et publiée dans le Temps, Ernest Renan se fait pour sa part un devoir de se rendre à ces commémorations afin de réaffirmer l’amitié indéfectible entre les deux peuples. Cf. « Italie », Le Temps, 1888/04/17 (n°9848), p. 1. Succède d’ailleurs aux festivités ce que quelques-uns nomment une « controverse » dans la presse à propos de l’accueil réservé en Italie aux délégués étudiants français. Les journaux rivalisent en réalité, pour prouver que cet accueil fut bon, avec plus ou moins d’emphase. Sur ce point, cf. « Les fêtes de Bologne », Le Temps, 1888/06/15 (n°9905), p. 2 ; « Retour d’Italie », Le Matin, 1888/06/26 (n°1586), pp. 1-2 ; Ernest Lavisse, « Les fêtes de Bologne (première lettre) », Le Journal des Débats politiques et

littéraires, 1888/06/20, p. 2. Dans ce dernier article, l’auteur s’attache à préciser la place d’honneur qui

était faite pendant toutes les festivités, en première place du cortège, à la bannière française. Comme pour assurer qu’une guerre douanière n’est pas une guerre totale, le ministre de l’Instruction publique Édouard Lockroy rend d’ailleurs compte, en conseil, de l’excellent accueil fait aux étudiants français en Italie. Cf. « Dernières nouvelles », Le Temps, 1888/06/15, op. cit., p. 4.

215 L’auteur fait sans doute référence ici à la généalogie apocryphe de l’Université de Bologne. Celle-ci plongerait ses racines dans un acte de création de l’empereur Théodose II en 433, qui ne serait autre qu’un faux rédigé au XIIIe siècle pour accroître le prestige d’une Université récente. Cf. Georges Lafaye, « Les fêtes de l’Université de Bologne », Revue internationale de l’enseignement, n°16 (1888), pp. 313-360, p. 314.

dispute d’ancienneté et de prestige entre l’Université italienne et celle de Paris. « Dès le commencement du douzième siècle, on signale la présence, dans la grande cité française, de plusieurs maîtres distingués faisant des cours de philosophie, de rhétorique et de théologie », écrit le directeur du quotidien Charles-Ange Laisant, sous le pseudonyme de Jean Frollo. L’Université de Bologne est certes ancienne, mais celle de Paris serait son aînée, rappelle-t-il en invoquant « les historiens » sans les désigner précisément. La Faculté « des sept arts libéraux » aurait vu le jour la première dans la ville française, suivie par celle de théologie en 1259, puis de droit et de médecine un an plus tard. L’auteur concède une gloire médiévale égale aux deux institutions, l’une et l’autre se partageant au Moyen Age la formation de la jeunesse européenne. Il admet aussi le déclin de l’Université parisienne qui se livra aux anglais sous le « règne néfaste de Charles VI », mais qui retrouva par la suite un enseignement tout à fait « patriotique ». Restant volontairement évasif sur la date de la fondation de la première Faculté parisienne, Laisant avance celle de 1158 pour l’Université de Bologne216, par une charte de l’empereur Frédéric Ier. Il affirme aussi qu’une concurrence serait née immédiatement entre les deux établissements, laissant penser à la préexistence de la Faculté parisienne. Laisant tente ainsi de faire de la France le précurseur de l’Université européenne, cependant que les historiens contemporains ne font alors aucun mystère, ni du voile d’incertitude qui recouvre la date exacte de l’émergence de ces établissements, ni de la dimension symbolique de la commémoration d’un huit centième anniversaire. En effet, l’apparition de l’Université parisienne est alors déjà située par l’historiographie au XIIIe

siècle217, ce qui fait de l’Université de Bologne la plus vieille des deux dames218. Cette erreur de datation pourrait être imputée à l’inadéquation des sources utilisées par le 216 L’année 1888 ne correspond pas exactement aux huit cents ans de l’Université de Bologne dont on ignore la date précise de fondation. Dans son article, Georges Lafaye explique que cette année correspondrait en réalité aux origines de l’Université bolonaise. Il explique que le plus ancien document concernant le fondateur des études juridiques à Bologne, Pepo, date de 1076, alors que le nom de son successeur, Irnerius n’apparaît qu’en 1100. Ces deux maîtres n’enseignaient alors que dans des « écoles », mais des écoles dont découlera l’Université. Cf. ibid., p. 324. Quant à la date du 12 juin, constituant le point culminant du programme de cette célébration étalée sur trois jours, il ne s’agit aucunement d’une date de l’histoire de l’Université de Bologne, mais de la date anniversaire de l’évacuation de la ville par les Autrichiens, le 12 juin 1839. Ibid., p. 314.

journaliste, qui ne cite d’ailleurs que l’ouvrage de Théophile-Imarigeon Duvernet, datant de la fin du XVIIIe siècle219. Le discours tenu par Laisant sur l’organisation médiévale des deux Universités ne laisse en revanche aucun doute : celle de l’Université bolonaise serait d’une qualité inférieure en raison de ses institutions « démocratiques », qui auraient permis aux étudiants de faire peser leur emprise sur l’organisation des études ainsi que sur le choix des professeurs. Au contraire, à Paris, l’accès à cette fonction ne devenait possible « qu’après avoir satisfait à certaines épreuves solennelles ». La plus grande ancienneté ainsi que la qualité supérieure des études seraient donc les atouts de l’Université française face à sa consœur italienne, minée par les passions estudiantines.

Comme l’avance Georges Lafaye dans la Revue internationale de l’enseignement

supérieur la même année, les commémorations organisées à Bologne s’inscrivent dans

une tendance générale de la communauté universitaire européenne, qui consiste à mettre en avant l’ancienneté de ses établissements comme un gage de respectabilité220. Comme si laisser les Bolonais fêter leur ancienne Université déprécierait leur Sorbonne, les journalistes français se font un devoir d’affirmer que leur patrie est le véritable berceau de la culture académique européenne. Les discours de la délégation française en Italie s’inscrivent tous dans cette veine, et la presse ne manque évidemment pas de le faire remarquer. L’académicien Gaston Boissier, qui en est membre, ne se risque pas, comme le directeur du Petit Parisien, à une falsification. Il accorde volontiers le rang d’aînée à la prestigieuse institution. Néanmoins, s’il rappelle sa grandeur, c’est pour mieux rehausser 217 Georges Lafaye le précise lui-même dans Ibid., p. 323. Pour saisir la complexité du processus

d’émergence des universités médiévales, cf. Jacques Verger, « Des écoles à l’Université », art. cit.

218 Deux années plus tôt, le président de l’Académie des sciences morales et politiques Jules Zeller ne craignait pas d’accorder le bénéfice de l’âge à l’Université italienne. Sur ce point, se reporter au discours qu’il prononça lors de semblables commémorations en Allemagne : « Heidelberg », Revue

internationale de l’enseignement, tome douzième (juillet à décembre 1886), pp. 256-258. Pour des

éclaircissements sur les thèses formulées quant à l’éclosion de l’Université de Bologne, cf. Ennio Cortese, « Bologne et les premières écoles de droit : cadres culturels et méthodes », Revue d’histoire

des facultés de droit et de la science juridique, n°28, op. cit., pp. 195-202.

219 J. Duvernet (abbé), Histoire de la Sorbonne dans laquelle on voit l’influence de la Théologie sur

l’ordre social, Tome premier, Buisson, 1790.

celle de sa petite sœur221. « Notre liaison avec vous, messieurs, rappelle Boissier, remonte très haut ; il y a sept siècles que nous nous connaissons, et nos rapports ont duré pendant tout le Moyen Age. […] Nous partagions alors avec vous le privilège d’élever la jeunesse ». Et les délégués étudiants de rajouter : « Italie et France, nous avons donné au monde les premiers modèles de ces grandes écoles ». Enfin le juriste Bufnoir met également en avant les liens existant entre les deux Universités222. Le rayonnement du cloître Saint-Victor est sans cesse rappelé pour mettre en avant celui, au moins comparable, de la montagne Sainte-Geneviève. Il est admis que les maîtres bolonais ont fait anciennement du droit leur spécialité, mais c’est pour mieux rappeler les échanges qui avaient lieu entre les deux établissements. Laisant conclut : « Je comprends donc que la ville italienne tienne à célébrer le huit centième anniversaire de sa savante Université, si dépassée qu’elle puisse être aujourd’hui par celle de Paris »223. Un rédacteur du

Journal des Débats fait quant à lui remarquer le chauvinisme qui se cache bien souvent

derrière de tels anniversaires224. Si les Bolonais ne succombent pas à la tentation d’un patriotisme excessif en annexant les gloires universitaires européennes, il semble que les Français n’y échappent pas, cherchant par là, comme le rappelle Ernest Lavisse, à compenser la chute significative dans l’estime des autres pays au lendemain de la défaite de 1870225. C’est sans doute pour pallier cette infériorité qu’ils s’attachent à hisser leur Université légèrement au-dessus de l’Italienne. Comme semble le rappeler un journaliste des Débats politiques et littéraires attristé par l’absence de délégués de l’Université de Montpellier, pourtant « fille aînée » de la bolonaise226, l’ancienneté appelle généralement déférence au sein du monde académique. Dès lors, même lorsque l’Italie fête sa plus grande gloire universitaire, les Français ne peuvent tolérer une telle concurrence à leur chère Sorbonne.

221 « Les fêtes de Bologne », Le Temps, 1888/06/13 (n°9903), p. 2.

222 Le Gaulois, 1888/06/15 (n°2117), p. 3.

223 Jean Frollo, « Une fête universitaire », op. cit. et loc. cit.

224 H. G. Montferrier, « Lettre d’Italie », Le Journal des Débats politiques et littéraires, 1888/06/18, p. 2.

225 « Les fêtes de Bologne (première lettre) », op. cit. et loc. cit.

Dans ce concours de gloires universitaires qui anime l’Europe, la Faculté de droit de Paris ne s’adonne étrangement à aucune cérémonie commémorative ; elle n’en connaîtra pas d’ailleurs jusqu’à la fin de la Troisième République. La presse égrène pourtant les célébrations de ce type pour les universités étrangères ainsi que pour celle de Montpellier, qui a lieu peu après la célébration bolonaise. Entre 1870 et 1918, le Temps relaye en effet seize centenaires ou jubilés du genre227. Certes, les articles qui y sont consacrés se réduisent bien souvent à un programme synthétique de réjouissances, mais ils fournissent également de temps à autre, une occasion de manifester l’orgueil pour la tradition universitaire nationale. L’on goûte ainsi de préciser que le recteur Madvig, de l’Université danoise de Copenhague, remercie dans un télégramme adressé au ministère de l’Instruction publique l’ « Université de Paris, à laquelle le monde entier, et [son] Université surtout en particulier, sont redevables de tant de bienfaits »228 ; ou encore que l’on retranscrit avec le plus grand soin l’adresse faite par le Conseil général des Facultés aux Allemands de l’Université de Heidelberg, qui leur rappelle que leur maison doit sa fondation à un enseignant de la Sorbonne, son fondateur, Marsilius d’Inghen229. Dans ce contexte, la Faculté de droit de Paris aurait pu organiser son centenaire en 1904, un siècle après le rétablissement impérial des écoles de droit, en 1905, date anniversaire de leur première rentrée, ou en 1909, en référence à la transformation de l’École de droit en Faculté230. Il est vrai, le choix d’une de ces dates aurait marqué la renonciation de la 227 Il s’agit dans l’ordre chronologique du quatrième centenaire de l’Université d’Upsal (1877), du quatrième centenaire de l’Université de Copenhague (1879), du troisième centenaire de l’Université d’Edimbourg (1884), du centenaire de l’Université de Kiev (1884), du sixième centenaire de l’Université de Montpellier (1890), du cinquième centenaire de l’Université de Heidelberg (1886), du huitième centenaire de l’Université de Bologne (1888), du cinquième centenaire de l’Université de Ferrare (1891), du troisième centenaire de l’Université de Dublin (1892), du deuxième centenaire de l’Université de Halle (1894), du jubilé de l’Université de Cracovie (1900), du centenaire de l’Université de Louriev, ancienne Dorpat (1902), du cinquième centenaire de l’Université de Turin (1904), du quatrième centenaire de l’Université d’Aberdeen (1906), du centenaire de l’Université d’Oviedo (1908) et enfin du centenaire de l’Université de Berlin (1910).

228 « Quatrième centenaire de l’Université de Copenhague », Le Temps, 1879/06/06 (n°6620), p. 2.

229 « Les fêtes de Heidelberg », Le Temps, 1886/08/08 (n°9228), pp. 1-2.

Faculté parisienne à se revendiquer en tant qu’héritière de l’Université médiévale231. Le problème ne se serait néanmoins pas posé en choisissant de célébrer l’anniversaire d’une des nombreuses dates du début du XIIIe valant naissance de l’Université parisienne. Cependant il n’en est rien, et même si l’établissement participe activement en 1904 aux célébrations du centenaire du Code Civil, ces dernières, investies par les professions juridiques et notamment judiciaires232, dépassent largement le champ universitaire et se présentent davantage comme la fête de tous les Français que comme une célébration catégorielle233.

Tandis que l’Université de Paris, préférant son image d’institution immémoriale, rechigne à déterminer le moment de sa naissance, il en est autrement à Montpellier. Une commission y est chargée dès 1885 d’organiser le sixième centenaire de l’Université, programmé cinq ans plus tard234 et non en 1889, tel que la date de 1289 l’aurait exigé. La raison de cet aménagement est d’éviter tout fâcheux recoupement avec le centenaire de la Révolution235. Cette fête universitaire se déroule sur quatre jours, du 22 au 26 mai236 1890, et se voit consacrer par la ville un crédit de 25 000 francs237 ainsi que 50 000 francs au titre d’une souscription organisée par les Amis de l’Université238. Elle a lieu en présence du Président de la République et les Universités du monde entier y envoient leurs

231 L’installation de l’École de droit de Paris dans les locaux de l’ancienne Faculté de droit de Paris, place du Panthéon, n’est pas sans corroborer cette filiation. Cf. ibid., p. 9.

232 Les deux associations à l’origine de cette célébration sont les Sociétés d’étude législative et de législation comparée, présidées par le procureur général près la Cour de cassation Manuel-Achille Baudoin, qui en préside d’ailleurs le Comité de patronage. Ce dernier est d’ailleurs constitué de représentants des mondes judiciaire et académique ainsi que de politiques. Cf. « Le centenaire du Code civil », Le Temps, 1904/05/20 (n°15678), p. 3.

233 « Le centenaire du Code civil », Le Temps, 1903/10/16 (n°15462), p. 1.

234 Le Temps, 1885/03/18 (n°8723), p. 3.

235 « Le sixième centenaire de l’Université de Montpellier », Le Temps, 1890/01/16 (n°1048), numérotation incomplète), p. 2.

236 Pour en connaître le programme précis, voir « Les fêtes universitaires de Montpellier », Le Temps, 1890/04/23 (n°10577), p. 3.

237 « Le sixième centenaire de l’Université de Montpellier », Le Temps, op. cit. et loc. cit.

délégations239. Lors de ces centenaires, l’Université est célébrée dans son entier : malgré l’inexistence administrative de celle-ci, l’entité parvient à se maintenir au-dessus de ses composantes que sont les facultés. C’est une fête en l’honneur de l’Université, et non des seules sciences juridiques et médicales montpelliéraines, pourtant admirées pour leur influence ancienne. La naissance ainsi que l’histoire de l’Université apparaissent dès lors comme autant de gloires invocables par les universitaires, quelle que soit leur discipline. Ainsi le professeur Grasset, au quatrième congrès médical de France, qui se tient à Montpellier en 1898, rappelle le prestige de l’institution montpelliéraine vieille de six cents ans240. Le moment de fondation relève d’une véritable mythologie241, au but politique double : elle fait une place de choix à l’établissement dans le paysage universitaire français et mondial, en même temps qu’elle justifie ses changements en cette fin du XIXe siècle. C’est pour recouvrer la grandeur de l’Université médiévale que la République lui redonne une existence institutionnelle à partir de 1896, même si cette réforme se fait des plus timidement242. La tradition apparaît dès lors à la fois comme un ensemble de fondations solides et comme une énergie toujours à l’œuvre dans l’évolution universitaire. L’histoire lisse livrée par les historiens des universités se poursuit de cette manière en un mouvement circulaire dont le but est de retrouver la pureté originelle.

L’Université française de la fin du XIXe siècle s’inscrit donc dans un mouvement d’exaltation de ses traditions. Cette tendance est d’ailleurs celle de la communauté 239 Le Temps signale la présence des représentants d’établissements universitaires d’Allemagne, Angleterre, Belgique, Bulgarie, Canada, Égypte, États-Unis, Grèce, Hollande, Italie, Norvège, Portugal, Roumanie, Suède, Suisse et Uruguay. « Le voyage du Président de la République », Le

Temps, 1890/05/25 (n°10609), pp. 1-2.

240 « Le congrès de Montpellier », Le Temps (n°13462), 1898/04/13, p. 4.

241 Au sujet de la dimension idéologique de l’histoire d’une université, cf. Anne Lemonde, « Une Université dans le désert : la signification politique de la création de 1339 » in Martial Mathieu (dir.),

De l’école de droit à la faculté de droit de Grenoble (1806-2006). Héritage historique et enjeux contemporains, Presses universitaires de Grenoble, 2007, pp. 25-33. On y décèle la tentation d’une

restitution lissée de l’histoire de leur établissement par les chercheurs, qui choisissent de construire de toute pièce une certaine continuité en dépit du manque cruel d’archives.

242 Sur ce point, cf. Bernard Bobe, « Le baroque universitaire français », Commentaire, n°151 (2015), pp. 599-605.

universitaire européenne dans son entier. L’abstention de toute commémoration pour celle de Paris, ou l’organisation millimétrée d’un six-centenaire à Montpellier, sont en réalité autant de manifestations de cette quête d’honorabilité. Le reste des Universités françaises reste cependant à l’écart de cet élan commémoratif jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, ce qui témoigne de la difficulté des établissements de