• Aucun résultat trouvé

Activités des tabularii

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 81-86)

Esclaves et affranchis publics employés au service de l’administration

3. Les tabularii

3.3. Activités des tabularii

Pour les régions occidentales de l’Empire romain, le travail dans les bureaux des archives civiques est surtout connu grâce aux lois municipales de Bétique, en particulier les statuts de la colonie d’Urso315 et le règlement du municipe flavien d’Irni316. Ces textes livrent l’essentiel des informations concernant le fonctionnement de ces services et les personnels qui s’y trouvaient affectés. Il apparaît clairement que si le contrôle de la documentation publique était de la responsabilité des magistrats locaux, la rédaction des documents et l’organisation archivistique revenaient à des subalternes. Au demeurant, la tenue d’un tabularium comportait à la fois des activités de nature purement administrative et différentes autres tâches matérielles, indispensables et connexes.

La fonction première des tabulae publicae était de permettre l’enregistrement et la conservation de tous les actes officiels produits par les autorités, notamment les décrets décurionaux qui devaient y être consignés comme le stipulent explicitement une inscription provenant de Pise317 ou encore le chapitre 41 de la Lex Irnitana318. La mise en forme des

310 EE, VIII, 310 : « Iulius Rufinus Leontius ex tab(ularius) civi(tatis) Asturice(n)si(um). » Comme une des particularités de l’inscription est le peu d’abréviations employées en dehors de la dédicace aux Mânes et du terme tab(abularium), la lecture « civi Asturice(n)si », au datif, paraît préférable à « civi(tatis) Asturice(n)si(um) » qui implique de restituer plus de lettres.

311 A. Weiß, Sklave…, op. cit., p. 72.

312 J.-Fr. Rodríguez Neila, « Tabulae publicae », op. cit., p. 21, n. 3.

313 Ibid.

314 Cette hypothèse est avancée par J.-M. Abascal et U. Espinosa, La ciudad hispano-romana. Privilegio y poder, Logroño, 1989, p.152 : il y aurait eu à Lucus Augusti des archives conservant les registres des exploitations minières de Galice.

315 Lex coloniae Genetivae, Roman Statutes (éd. M. H. Crawford), Londres, 1996, p. 393-454.

316 AE, 1986, 333 et J. González, The Lex Irnitana : a new copy of the Flavian Municipal Law, J.R.S., 76, 1986, p.

147-243.

317 CIL, XI, 1421(4 ap. J.-C.) : « (…) ea omnia, quae supra scripta sunt, ex decreto / nos[tro]coram proquaestoribus primo quoque tempore per scribam pu- / bl[i]c[um i]n tabulas publicas referenda curent. »

318 [à compléter]

décisions de l’ordo mais aussi d’autres documents comme les rationes communes par exemple revenait, semble-t-il, en priorité à des scribes qui avaient toute compétence pour rédiger (scribere). Fréquemment évoqués à travers les sources dont nous disposons, ces agents bénéficiaient assurément d’une position privilégiée. Du reste, leur recrutement et leurs conditions de travail faisaient l’objet de prescriptions bien définies319. Il leur arrivait de disposer de librarii320, appariteurs secondaires qui effectuaient des tâches ordinaires telles que la copie des instrumenta originaux à la demande de particuliers ou bien de l’administration centrale de Rome -la table d’Héraclée rapporte ainsi que les données du cens local étaient transmises dans l’Urbs de cette manière321. La question se pose de savoir si les servi et liberti publici pouvaient, eux aussi, être amenés à effectuer des travaux d’écriture, au moins les plus courants. Des témoignages comme les tabulae ceratae retrouvées dans la maison de L.

Caecilius Jucundus à Pompéi et dont il est certain qu’elles ont été rédigées par les esclaves Secundus et Privatus, le laissent entendre. J.-Fr. Rodríguez Neila considère, pour sa part, que cette hypothèse est envisageable dans la mesure où l’on sait que les esclaves publics pouvaient se voir confier certaines responsabilités, notamment en matière de gestion financière. Il pense même que cela offrait l’avantage indéniable pour l’aerarium municipal d’économiser la solde d’apparitores que les esclaves suppléaient322. En réalité, les tâches attribuées aux tabularii publici ne sont jamais vraiment décrites : on peut seulement essayer de les déduire de ce que l’on perçoit de l’organisation interne des services d’archives.

On imagine qu’ils intervenaient sans doute également lorsqu’il fallait effectuer une recherche dans les documents archivés pour les communiquer. Leur consultation s’imposait en effet régulièrement, notamment quand les magistrats municipaux se voyaient interpelés par les décurions sur l’état de la pecunia publica ou la gestion des propriétés foncières de la cité et devaient apporter la preuve de leur bonne administration. D’une façon plus générale, face à tout problème qui se présentait dans la vie civique, les tabulae publicae servaient de références

319 Ces appariteurs, généralement ingenui, travaillent auprès des magistrats et sont souvent en relation avec les élites locales (Cf. CIL, XIV, 409). On trouve parmi eux des exemples de promotions familiales intéressantes (Cf.

CIL, XIV, 353 et 4642). Selon les chapitres 62-63 de la loi d’Urso, chaque scribe perçoit un salaire (merces) : 1200 sesterces pour les scribes des duumvirs, 800 pour ceux attachés aux édiles. De son côté, la Lex Irnitana (ch.

73, 79) précise qu’ils doivent obligatoirement prêter serment avant d’entrer en fonction et que les décurions fixent leur salaire. Sur ce sujet, cf. N. Purcell,The apparitores : a study in social mobility, PBSR, 51, 1983, p. 125-173 ; E. Badian, The scribae of the Republic, Klio, 71, 1989, p. 582-603 ; B. Cohen, Some neglected ordines : the apparitorial status-groups, Des ordres à Rome (dir. Cl. Nicolet), Paris, 1984, p. 23-60.

320 Les textes distinguent les scribae cerarii des scribae librarii : le niveau de responsabilité des seconds semble moins élevé.

321 Tabula Heracleensis, Roman Statutes, op. cit., p. 355-391, l. 148-151. Un passage de Cicéron le confirme : Cic., Verr., 2, 188-190.

322 J.-Fr. Rodríguez Neila, « Apparitores y personal servil..., art. cit., p. 221 et « Tabulae publicae »…, op. cit., p.

71.

indispensables, de « memoria publica » selon l’expression de Cicéron323. Par conséquent, il importait qu’elles soient organisées et classées avec soin afin de pouvoir les utiliser efficacement. C’était là une autre fonction essentielle des archivistes, habilités à manipuler (tractavere) et mettre en ordre (ordinare) les registres déposés. Une fois de plus, on ne sait pas très bien quels principes prévalaient dans le classement de ces instrumenta, même si le plus probable devait être un agencement en séries thématiques et/ou chronologiques qui trouvaient place soit dans des niches aménagées à même les murs du tabularium, soit dans des armaria ou sur des rayonnages prévus à cet effet. En tout cas, le tri, le rangement ou encore le recollement pas toujours très commodes de codices souvent lourds et volumineux324, quelquefois assez fragiles aussi, devaient revenir à la main d’œuvre servile. À ce personnel incombait assurément nombre de petites tâches parallèles, que les sources n’évoquent pas, bien qu’elles soient absolument nécessaires à la bonne marche du service. Elles concernent d’abord toute la préparation du matériel d’écriture. En premier lieu, il s’agissait de fabriquer des tabulae ceratae de tailles différentes suivant les usages auxquels on les destinait325 : après avoir choisi et travaillé le bois326, on coulait une légère couche de cire327. Ensuite, on devait assembler les tablettes par deux ou trois (diptyques, triptyques), parfois davantage, au moyen d’anneaux ou de cordonnets passés dans des trous que l’on avait percés en guise de charnières. Il arrivait aussi qu’on les équipe d’une poignée (ansa) pour faciliter leur manipulation et qu’on leur ajoute une ficelle pour les tenir fermées. Sur la cire, on ménageait enfin l’espace destiné à recevoir le texte en traçant des marges. Comme ces supports d’écriture faisaient généralement, on le sait, l’objet de plusieurs utilisations successives328, cela obligeait à les remettre en état en égalisant la cire329 ou en grattant ad lignum de façon à effacer toute ancienne marque. Les publici avaient sans doute également la charge des autres accessoires tels que les stili et autres graphia, souvent en métal ou en os. Ils s’occupaient enfin de préparer l’encre (atramentum) et

323 Cic.,Pro Mil., 73 ; Pro Clu., 63 ; Pro Sest., 129 ; Arch., 8…

324 On peut se faire une idée de ce travail d’après l’observation des anaglyphes dits « de Trajan ». Ce bas-relief met en scène le transport d’énormes codices par, semble-t-il, des légionnaires. Ces registres, qui comportaient les noms de débiteurs insolvables, furent détruits sur ordre d’Hadrien qui souhaitait effacer leurs dettes. Cf. R. Turcan, L’art romain, Paris, 1995, p. 164-165.

325 Ce support d’écriture est de loin le plus utilisé dans les régions occidentales du monde romain. Les tabulae de petite dimension servaient notamment pour la correspondance ou la prise de notes ; les instrumenta de l’administration publique devaient être consignés sur des formats plus grands.

326 Différentes essences étaient employées : le buis, le sapin, le hêtre, l’érable… Le bois de citronnier évoqué par Martial, Epigr., XIV, 5 paraît réservé aux articles de luxe.

327 Ovide, Ars am., I, 437 : « Cera rasis infusa tabella » et évocation de la couleur rouge de la cire dans les Amours, I, 12,11.

328 Les tabulae provenant d’Herculanum ou de Vindonissa, par exemple, portent des marques évidentes de ces réemplois.

329 Cic., de Or., II, 101 : « stilum vertere in tabulis ». L’expression désigne le geste qui consistait, à l’aide d’une des extrémités du style élargie en spatule, à lisser la cire.

les plumes de roseau (arundines) employées lorsqu’il fallait écrire sur des libri de papyrus, réservés, en raison de leur coût, aux documents les plus importants. À l’ensemble de ces travaux s’ajoutait probablement aussi la garde et la surveillance du tabularium lui-même.

L’importance et la valeur des documents qui s’y trouvaient obligeait incontestablement à la plus grande vigilance car la falsification, le vol voire la destruction pure et simple de certains textes restaient une tentation forte pour des indélicats qui pouvaient avoir intérêt à les faire disparaître330.

En somme, le travail des tabularii concernait tout ce qui touchait à la tenue des dépôts d’archives depuis les tâches gratifiantes de rédaction et de mise en forme de certains documents jusqu’à l’organisation pratique et la gestion matérielle de ces lieux et des instrumenta qu’ils abritaient. Ces employés devaient donc se montrer polyvalents et assumer une responsabilité qui était loin d’être négligeable.

Les servi publici employés auprès des bureaux administratifs, qu’il s’agisse d’agents financiers, de gestionnaires ou encore d’archivistes, constituent la catégorie professionnelle la plus représentée dans la documentation épigraphique. Ce constat global doit toutefois être nuancé car ces agents n’apparaissent quasiment pas dans le corpus romain mais ils sont presque uniquement mentionnés dans les cités. S’il reste difficile d’expliquer une telle différence, plusieurs facteurs peuvent cependant être avancés. Il est possible qu’à Rome les esclaves publics administratifs aient été peu nombreux en raison du poids de l’administration impériale et de la familia Caesaris où l’on recrutait aussi de nombreux agents d’exécution331. Dans les cités, en revanche, le développement des institutions municipales a sans doute suscité des besoins de plus en plus importants de personnel administratif subalterne et il est possible qu’on les ait pourvus, en grande partie, par des publici.

Quoi qu’il en soit, les hommes qui occupent ces fonctions bénéficient d’une position qui leur octroie des responsabilités évidentes en matière financière (surveillance de l’arca, perception des vectigalia...), administrative (surveillance, tenue des archives...) ou encore technique. Ils travaillent à proximité immédiate des magistrats et sont placés sous leurs ordres.

De ce fait, leur position semble plus en vue que celle de beaucoup d’autres agents. En même temps, on a souvent fait observer que les esclaves des services administratifs, et notamment les

330 Cic., Pro Mil., 73. Suétone, Nér., 17 rappelle que cet empereur ordonna de prendre de nouvelles précautions pour cacheter les tabulae et décourager de cette façon les éventuels faussaires.

331 F. Jacques, J. Scheid, Rome et l’intégration de l’Empire (44 av. J.-C. – 260 ap. J.-C.), Paris, 1990, p. 103-105 ; G. Boulvert, Esclaves et affranchis impériaux sous le Haut-Empire romain. Rôle politique et administratif, Naples, 1970 ; P. R. C. Weaver, Familia Caesaris. A Social Study of the Emperor’s Freedmen and Slaves, Cambridge, 1972.

publici financiers, obtenaient difficilement la manumissio, peut-être parce que les cités souhaitaient conserver ces subalternes qui étaient essentiels à leur bon fonctionnement.

Chapitre 3

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 81-86)