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A PARTIR DE L'ICONOCLASME

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Sous le pape Zacharie (741-752), l'administrateur de la dia- conie de Sainte-Marie-Antique, le primicier des défenseurs, Théodote, fit décorer la chapelle située â gauche du. choeur de diverses pein­ tures. On y trouve une crucifixion et une Vierge trônant entre les SS. Pierre et Paul, les SS. Julitte et Cyr de Tarse, le pape vivant et le donateur (mur du fond ) ; des scènes du martyre de S. Cyrice et de sa mère Julitte et un portrait de Théodote avec sa famille (murs latéraux) ; le primicier à genoux aux pieds des SS. Cyrice et Julitte

et un panneau représentant quatre saints quorum nomina Deus scit

(de part et d'autre de l'entrée) (19). Plusieurs artistes travaillèrent à cette décoration (20). Certaines différences s'expliquent aussi en partie par la diversité des thèmes traités - la crucifixion, assez majestueuse, n'a pas la verye des épisodes du martyre des SS. Cy- rice et Julitte -. Toutes les fresques présentent toutefois une ca­ ractéristique commune : elles tranchent sur le style "hellénistique" des compositions antérieures par une certaine rudesse, un dessin linéaire plus accusé et moins raffiné qu'à l'époque de Jean VII, une simplification des formes et enfin une rigidité, sensible

même dans les scènes les plus animées (21). Ces caractéristiques s'ac­ centuent dans les fresques exécutées dans l'église durant la seconde moitié du Ville s., comme - pour ne citer que les plus notables - la décoration, du mur oriental du collatéral gauche (représentant de bas en haut une draperie, le Christ entre une série de saints des Eglises grecque et latine, des scènes de la Genèse) (22) ou le panneau du mur occidental de l'atrium montrant la Vierge trônant entre divers saints et le pape Hadrien (772-795) (23). Cette évolution est-elle propre à Rome (24) ? Reflète-t-elle au contraire un processus général de dégénérescence de la manière "hellénistique" (25) ? Ou bien encore s'agit-il d'un courant artistique différent plus fruste et pppulaire, introduit par les moines fuyant 1'iconoclasme (26) ? Malgré l'inté­ rêt de cette problématique pour notre propos, il ne nous appartient pas de trancher entre les diverses hypothèses proposées par les spé­ cialistes. Du reste, les points de comparaison sont trop.rares pour qu'on puisse se prononcer en toute certitude. Notons seulement que l'évolution était déjà engagée au moment où l'arrivée de moines fuyant 1'iconoclasme devint un phénomène notable (après 754) (27).

Si on se place sur un plan plus général, il apparaît néan­ moins incontestable que les accents locaux dans l'art romain furent plus nets qu'à l'époque où Rome se trouvait réellement dans l'orbite politique de Byzance. Sans négliger pour autant l'influence byzantine, les artistes locaux se penchèrent davantage vers le passé artistique

164.-de la Ville et en arrivèrent, à la fin du Ville s. et dans les pre­ mières décennies du IXe s., à réaliser sous l'impulsion pontificale un programme de renovatio des modèles paléochrétiens. Celui-ci

trouva ses expressions les plus achevées en architecture et dans les décorations de mosaïques. La peinture murale, reléguée à une place secondaire, ne fit que le refléter avec lenteur et de façon impar­ faite. Ensuite, à partir du milieu du IXe s. environ, elle se mit à osciller sans grande vitalité entre les influences carolingiennes, locales et byzantines (au sens large) (28).

Par ailleurs, en raison de la nette diminution de l'élément "grec" au sein du haut clergé (29) et de la fin de la domination byzantine, du fait aussi qu'ils faisaient figure de défenseurs at­ titrés des images (30), les moines "grecs" durent devenir rapidement les principaux agents des influences artistiques venues d'outre-mer, quelles qu'en aient été la nature exacte et l'intensité.

Mais revenons à Sainte-Marie-Antique. Les influences locales et gréco-orientales se mêlèrent certainement dans cette église durant la période iconoclaste. Ainsi, il est intéressant de noter t: qu"^îl s'agisse d'une influence directe ou non - l'existence de similitudes entre la crucifixion de la chapelle de Théodote et des illustrations de ce thème dans l'art syro-palestinien (31). D'autre part, on se rappellera que la fameuse frise des saints grecs et latins - qui fut peutrêtre exécutée par un "Grec" (32) - a été au moins en partie inspirée par les religieux "grecs" de la Ville (33).

Nous avons vu aussi, a propos du culte des saints, combien cette même frise a également subi l'influence du milieu romain (33a). Dans la chapelle de Théodote et dans le panneau de l'atrium commandé par le pape Hadrien on trouve encore un élément particulièrement typique d'une iconographie occidentale ; la Vierge est représentée selon le type de la Maria Regina (34), D'autre part, on peut être assuré que certaines fresques, comme les scènes de la Genèse du collatéral gauche, ont été peintes par des Occidentaux (35) .

Ainsi les moines "grecs" de Rome exercèrent une influence plus grande sur l'art de Sainte-Marie-Antique qu'au Vile s. et au début

r

du Ville s. Mais, quelle qu'ait été son importance, le nouvel apport "grec" se combina avec une influence locale dont on ne trouve pas l'équivalent à l'époque précédente.

Au Ville s., Sainte-Marie-Antique n'était pas uniquement fré­ quentée - et peut-être même desservie - par des "Grecs" (36). Ce fait explique peut-être en partie les influences locales qui s'y exercèrent une fois que des distances furent prises - quelle qu'en fût la raison avec le style "hellénistique". On aimerait dès lors savoir si les moines hellénophones subirent également ces influences dans leurs monastères.

Il est regrettable à cet égard qu'on ne puisse pas dater avec certitude la deuxième décoration de l'oratoire de Saint-Saba cons­ tituée d'un cycle d'histoires de la vie du Christ et de sa Mère. Matthiae a fort justement attiré l'attention sur "l'esilità délia architettura, .., una certa ricerca di adeguamento fra essa e la figura umana, .... lo studio accurato delle proporzioni di quest'ul- tima". Il a bien souligné combien les fragments les mieux conservés témoignent.d"'una grande finezza d'esecuzione, una graduazione tenue del colore, una correttezza di disegno ed una derivazione da modelli antichi delle sigle del paneggio" (37). Les épisodes de l'enfance de la Vierge et celui du paralytique se rattachent à l'iconographie gréco-orientale (38) . Nous nous trouverions donc devant un ensemble nettement.différent de la production locale, plus rude, s'il fallait le dater, comme on l'a fait, des dernières décennies du Ville s. (39), du IXe s. (4G) ou même du Xe s. (41), Cette différence s'expliquerait en l'occurrence par l'intervention d'un artiste "grec" et par

l'utilisation de manuscrits "grecs" illustrés ou même seulement par cette dernière (42). D'autres spécialistes préfèrent cependant éviter cette solution de continuité et dater nos fresques de la première moitié du Ville s. par référence à l'art de Jean VII (43). Les prin­

166.-cipaux arguments invoqués par les partisans d'une datation basse (la paléographie des inscriptions, la nécessité d'un espace de temps entre les deux premières décorations) nous paraissent moins convaincants que l'insertion de nos peintures dans une évolution cohérente (44). Une fois encore, la rareté des éléments de comparaison ne permet pas de se prononcer en toute certitude mais il est pour le moins risqué de voir dans les fresques en question le reflet d'un réel isolement culturel de nos moines.

En fait, au moins deux manuscrits grecs illustrés ou enluminés du IXe s. montrent que les religieux "grecs" de la Ville ne furent pas fermés à toute influence occidentale.

La décoration du célèbre Vaticanus gr . 1666 de 800 (Dialogues de Grégoire le Grand) se résume à quatre initiales. Le décor de trois d'entre elles est constitué de poissons et se rattache à un type d'il­

lustration depuis longtemps répandu dans tout l'Occident. La quatrième initiale ornée - un M dont les barres verticales, remplies de tresses, sont reliées par un serpent terminé de part et d'autre par une tête de dragon tenant elle-même un petit serpent - se distingue des trois autres par sa grandeur et ses "résonnances nordiques" (45). Le manuscrit est sans. conteste d_'origine italienne comme le prouvent - outre les initiales - le système de réglure (46), une certaine influence de l'on­ ciale latine sur l'écriture (47) et l'emploi du latin dans deux invo­ cations, l'une du copiste, l'autre - un peu plus récente - d'un lec­ teur (48). Cette dernière caractéristique prouve même que le ma­ nuscrit provient d'une région d'Italie dont la langue véhiculaire était le latin. Dès lors la qualité de la calligraphie et celle du parchemin (49) ainsi que le choix de l'oeuvre copiée permettent d'at­

tribuer avec beaucoup, de vraisemblance l'ouvrage à Rome (50) et plus précisément- au scriptorium d'un des couvents de moines "grecs" de

la Ville - on voit mal qui d'autre, à l'époque, aurait pu s'intéresser davantage à ce travail et surtout aurait été à même d'en assurer les frais (51) -.

Selon Grabar trois célèbres manuscrits illustrés seraient éga­ lement issus d'un scriptorium grec de Rome : le Parisinus gr. 923 (Sacra Parallela attribué à Jean Damascène), le Vaticanus gr. 749 (Livre de Job avec commentaire) et 1'Ambrosianus 49-50 (Sermons de Gré­ goire de Nazianze) (52). Malheureusement l'origine italienne du pre­ mier reste fort contestée (53) et celle du deuxième n'est pas entière­ ment assurée,.bien que sa seule initiale historiée soit empruntée à

l'iconographie occidentale (54). Afin de ne pas multiplier les incer­ titudes, il nous-paraît préférable de n'évoquer ici que le troisième. Deux particularités relevées par Grabar prouvent, en effet, de façon indiscutable,, que le Grégoire de Nazianze.de 1'Ambrosienne provient d'Italie : L'omophorion des évêques est figuré comme un pallium latin et surtout les nombreux prêtres représentés portent tous la tonsure en couronne des Occidentaux (55). Dès lors les similitudes des minia­ tures du manuscrit avec les mosaïques de Sainte-Praxède (56) per­

mettent de l'attribuer avec vraisemblance au scriptorium d'un monastère grec de Rome (57).

Les points de contact entre la décoration du Grégoire de Na­ zianze et celle de Sainte-Praxède ne s'expliquent peut-être pas tous par une influence de l'art romain (58) mais la représentation des clercs se ressent incontestablement du milieu dans lequel vivaient nos moines.

L'enluminure du Vaticanus gr. 1666 est plus remarquable encore. Elle, est caractéristique d'une époque de transition puisque trois initialès sont encore décorées selon les anciennes formules "mérovin­ giennes" alors que la quatrième reflète la pénétration récente en Italie d'une illustration de type insulaire (59). Ce manuscrit de 800 permet de se rendre compte de la rapidité avec laquelle le nouveau type de décor pénétra dans un scriptorium grec de la Ville. Que nos moines en aient eu connaissance directement ou par l'intermédiaire de manuscrits latins d'Italie, ils furent visiblement fort impressionnés

158.-"qui furent les premiers à élever le décor ornemental d'un livre ma­ nuscrit au niveau d'une oeuvre d'art" (60).

Les mosaïques de la chapelle Saint-Zénon à Sainte-Praxëde, une église reconstruite et décorée sous Pascal I (817-824), suggèrent pourtant que les religieux "grecs" continuèrent également à exercer une influence sur l'art à Rome. La communauté "grecque" que le pape installa en cet endroit pour assurer la psalmodie (61) n'inspira

certes pas toute la décoration de l'église. Celle-ci s'inscrit en grande partie dans le mouvement de retour à l'art paléochrétien qui caracté­ risait alors les réalisations pontificales (62) . Ainsi les mosaïques de l'abside et de l'arc absidal copient celles des Saints-CSme-et- Damien (63). Dans la chapelle Saint-Zénon elle-même, les réminiscences paléochrétiennes (comme les anges cariatides, le trône de la Seconde Venue, les martyrs offrant des couronnes, les saints portant des

livres et des rouleaux ...) ne manquent pas (64). Mais on trouve aussi une déisis byzantine (65) ainsi qu'une descente aux enfers où les éléments orientaux et occidentaux se mêlent de façon complexe (66) . Bien plus, dans cette pièce cruciforme, le programme hiérarchisé

d'une décoration dominée sur la calotte par le buste du Christ annonce l'ordonnance du décor des églises byzantines en croix grecque inscrite ; il pourrait bien avoir été apporté de Byzance par nos moines (67).

Au IXe s., les religieux "grecs" de Rome n'étaient pas, en effet, isolés en pays latin au point d'être incapables de recevoir et de transmettre quelque chose des formules artistiques qui étaient alors en honneur dans le monde byzantin. On aimerait faire état à ce propos de l'introduction soudaine dans les miniatures du Livre de Job de la Vaticane d'un style nouveau venu sans doute de Constantinople (68)

mais comme l'origine du manuscrit reste assez problématique, nous préférons ne pas insister sur ce point. La mission du moine Lazare à Rome suffit à.illustrer notre propos.

On sait que Lazare était un célèbre peintre d'icônes qui avait été persécuté lors de la seconde période iconoclaste (69). En 855,

il fut dépêché à Rome par le patriarche Ignace pour obtenir la con­ firmation par le pape de la déposition de l'archevêque de Syracuse Grégoire Asbestas (70). Il emporta, en cette occasion, de somptueux présents de l'empereur Michel III à Saint-Pierre : un évangile, un calice et des tissus dont un tapis historié destiné à revêtir l'autel majeur (71). Ces dons,’qui ne manquent assurément pas d'intérêt pour

l'histoire des relations artistiques entre Rome et Byzance, nous con­ cernent moins que le séjour même d'un artiste byzantin, moine de surcroît. Malheureusement, bien que le biographe de Benoît III (855- 858) soit au courant de la réputation artistique de Lazare (72), on ignore si ce dernier eut l'occasion d'exercer ses talents lors de son séjour. Il est également impossible d'apprécier les effets des rela­ tions qu'il dut nouer avec ses confrères "grecs" de la Ville. Sa mission illustre pourtant une des manières par lesquelles nos re­

ligieux pouvaient parfois entrer directement en contact avec l'art byzantin contemporain (73).

Concluons.. A partir de 1'iconoclasme, les moines "grecs" jouèrent un rôle plus important dans les relations artistiques entre Rome et le monde byzantin qu'à l'époque où la ville se trouvait encore réellement dans l'orbite politique de Byzance, Ils prirent d'une cer­ taine façon le relais des membres du haut-clergé et des fonctionnaires d'origine grecque qui, jusqu'au début du Ville s,, avaient plus lar­ gement qu'eux contribué à diffuser à Rome 1'art byzantin et parti­ culièrement l'art de la capitale. Ils se trouvèrent toutefois impli­ qués dans un jeu d'influences bien plus complexe du fait de la reprise de l'art local et de la pénétration en Italie d'un nouveau type d'enluminure emprunté aux manuscrits insulaires et carolingiens. Ils furent incontestablement sensibles à l'influence romaine et occi­ dentale tout en maintenant des contacts avec l'art du monde byzantin et en le propageant même. Certes, les.lacunes de la documentation et la diversité des hypothèses en présence ne permettent pas d'apprécier l'intensité de ces relations. Bien que les influences aient pu

être seulement sporadiques, les moines "grecs ne furent toutefois ni isolés à Rome, ni séparés du monde byzantin sur le plan artistique.

CHAPITRE VIII

LIVRES GRECS ET CULTURE

Nous avons déjà utilisé au cours de ce travail les oeuvres originales et les traductions qui peuvent être attribuées aux moines "grecs" de Rome. Il nous reste à évoquer leurs ateliers de copistes et leurs bibliothèques. Il serait cependant dangereux de se limiter aux quelques données qui les concernent sans envisager l'ensemble des livres grecs disponibles dans la ville et leur utilisation par les religieux hellénophones. Nous nous efforcerons ensuite d'apprécier, dans la mesure du possible, le bagage intellectuel de ces derniers.

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