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Évolution récente du système d'activités des ruraux au Viêt-Narn: le cas du bassin du fleuve rouge

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Dr. Pascal Bergeret ORET, Paris

Etant donné le poids démographique des ruraux au Vietnam, les questions relatives au travail, à l'emploi et aux ressources humaines ne peuvent être abordées sans une prise en compte des évolutions rurales. Il s'agit ici de rendre compte de l'évolution du système d'activités des ruraux au Vietnam, plus particulièrement dans le bassin du Fleuve Rouge, depuis la mise en place des réformes. Nous entendons par système d'activités l'ensemble des activités économiques des membres des foyers ruraux, desquels ils tirent leurs revenus, en prenant en considération les relations existant entre ces activités et leur environnement (physique, économique, culturel, technique et politique)'. Le Modèle d'Economie Socialiste de Marché instauré par le Doi Moi entend moderniser l'économie vietnamienne grâce à une industrialisation pilotée par le secteur d'Etat. Le reste de l'économie, c'est à dire avant tout l'agriculture et les services, est en grande partie laissé à l'initiative des familles et des individus, dont le Doi Moi a su libérer le dynamisme. Ce relatif désintérêt de l'Etat pour ce qui n'est pas industriel s'est traduit par une diminution croissante de l'agriculture dans les investissements de l'Etat. Mais à la fin des années 1990, l'écart se creuse dangereusement entre le niveau de vie et les revenus des ruraux et des urbains.

La petite région de Nam Thanh est située au cœur du delta du Fleuve Rouge, dans la province de Hai Duong. Les rendements y sont élevés, donnant une production annuelle bien au dessus du seuil d'autosuffisance, et la densité de population y est très forte. Le débouché principal des produits agricoles est surtout constitué de marchés locaux ou régionaux et les activités de petite transformation et de service y foisonnent. Toutefois, on observe de fortes variations en fonction de la localisation des communes et de la situation particulière de chaque foyer vis à vis de l'accès au capital, notamment au moment de l'installation du ménage (aide financière des parents, capital de départ, accès au crédit). Le niveau de formation du jeune couple au moment de son installation ainsi que l'expérience professionnelle antérieure qu'il peut mobiliser dans son système d'activités constituent aussi des facteurs importants de différenciation. La répartition égalitaire des rizières entre habitants d'une même commune a permis de maintenir une certaine homogénéité foncière jusqu'à présent, mais l'accélération récente des transactions, avec l'apparition d'un véritable marché de la terre risque d'accélérer les processus de différenciation entre foyers.

La commune de Quoc Tuan, située dans le district de Nam Sach est située sur un axe de communication important, et ses habitants exploitent à fond cet avantage en se spécialisant dans la collecte de riz et de porcs vifs à destination des marchés de Quang N inh.

Les revenus du commerce représentent pour ses habitants des sommes pouvant dépasser de loin les revenus agricoles. Par ailleurs, de nombreux habitants de Quoc Tuan se sont lancés dans les cultures d'hiver qui demandent d'importantes dépenses en intrants, et cela malgré les risques liés à l'instabilité des prix. La prospérité générale de cette commune n'est pas égalitairement répartie entre toutes les familles qui y habitent. Pour la moitié des familles environ, la riziculture et l'élevage porcin représentent bon an mal an d'un tiers à un quart du revenu, le reste étant fourni par les cultures sèches et les activités non agricoles, en

2 Les informations sur lesquelles se basent cette présentation sont issues de travaux de recherche et de développement rural conduits dans le cadre du Programme Fleuve Rouge, programme de coopération franco-vietnamien mis en oeuvre depuis 1989 dans différents sites du Bassin du Fleuve Rouge.

proportion variable selon le profil économique des familles. Récemment, certaines familles ont décidé de diversifier davantage leur système de production et ont commencé à sur-creuser certaines rizières pour en faire des étangs destinés à la pisciculture commerciale. L'autre moitié des familles tirent de la riziculture et de l'élevage porcin la moitié de leur revenu, et le reste des activités non agricoles et des cultures sèches. Les familles dont les revenus sont faibles ne peuvent se permettre de prendre de risques. Pour ces familles, les revenus non agricoles proviennent d'activités salariées temporaires, soit dans la commune, soit plus fréquemment hors de la commune, dans des centres urbains régionaux et les bassins d'emploi comme Quang Ninh. Ces travailleurs précaires constituent une sorte de prolétariat rural dont les revenus dépendent fortement du niveau de l'activité économique régionale.

Contrairement à Quoc T uan, la commune de Thai Tan souffre d'un enclavement relatif. L'espace agricole à l'intérieur des digues comporte beaucoup de rizières basses, facilement inondables et impropres à la mise en place de cultures d'hiver. Il s'ensuit que les familles de Thai Tan dépendent avant tout, pour leurs revenus, des activités agricoles classiques, la riziculture et l'élevage porcin. A Thai Tan les familles développent deux stratégies distinctes. Les foyers qui disposent d'une surface en rizières supérieure à la moyenne et exploitent au maximum les terres à l'extérieur des digues tentent d'accroître au maximum leur niveau de production agricole, en y consacrant une forte proportion de leur main d'œuvre et en élargissant les surfaces qu'ils cultivent. Ils produisent un volume important d'aliment pour bétail, tirent de l'élevage porcin près du tiers de leur revenu, et complètent leur revenus par des activités non agricoles épisodiques (salariat temporaire ou petit commerce). Les familles les-mieux nanties de Thai Tan, misent à fond sur des activités de service à destination des,chabitants de la commune et nécessitant un certain capital (commerce, artisanat...) et tentent de réinvestir les bénéfices de ces activités dans l'achat de terres afin de consolider leur assise agricole. Quant aux autres foyers de la commune (60%), le niveau de leur production agricole ne leur permet pas de s'enrichir. Ils dépendent fortement des compléments de revenus procurés par l'emploi temporaire non agricole, ainsi que d'activités faiblement rémunératrices mais demandant peu de capital (micro-commerce, petit artisanat). Le contexte micro-local, très agricole, n'est guère favorable à l'emploi salarié. Il s'ensuit un sous-emploi chronique dont les foyers les plus démunis souffrent le plus. Ces familles en difficulté envisagent souvent l'émigration comme un moyen d'échapper à leur condition locale.

A Thanh Hoa, les rizières seules ne peuvent assurer la sécurité alimentaire locale.

Alors que les revenus sont avant tout agricoles, les foyers comptent sur les cultures de collines (thé, arbres fruitiers, manioc), qui fournissent l'essentiel de leurs revenus, pour affermir la sécurité de leur alimentation et la stabilité de leur revenu. Les réformes de la fin des années 1980 ont, avec la décollectivisation, redynamisé l'agriculture dans cette zone, qui a connu de profonds changements. Mais, tous les foyers de Thanh Hoa ne s'inscrivent pas de la même manière dans ce mouvement. En moyenne, le revenu des familles ne dépend que pour 17%

de métiers non agricoles, salariés ou non. Il faut toutefois noter l'importance des allocations, retraites et pensions qui pour les nombreuses familles en bénéficiant représentent typiquement 20% du revenu. Il semble que les familles les plus avancées dans les processus d'intensification et d'accumulation soient aussi celles qui bénéficient le plus des "allocations de l'Etat »; Les plus défavorisés sont sans doute les jeunes couples s'installant sans ressources et sans aide notable des parents. Ces ménages sont vulnérables et le mari peut être obligé de louer son travail à vil prix au lieu de se consacrer au développement de l'assise productive familiale. Arrivé au bout de l'impasse ces jeunes gens n'auront d'autre alternative que de tenter une improbable migration vers Hanoi, ou bien ils devront vivre d'expédients. Les vols sont fréquents à Thanh Hoa et le gardiennage des plantations et des mares est obligatoire pour qui veut préserver sa richesse.

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Le district de Cho Don est un monde de forêts, de torrents, de crêtes et de précipices les déplacements se font principalement à pied. On estime que les besoins en riz de la population sont couverts à 80% en année normale. Mais cette moyenne cache de grandes disparités. Une famille moyenne à Cho Don vit probablement mieux que nombre de foyers dans le delta ou dans les collines et cela même si les revenus annuels par tête sont faibles.

Mais les revenus répertoriés rendent mal compte de la richesse sur pied représentée par les gros ruminants, non plus que des prélèvements sur le milieu naturel, notamment la forêt, difficiles à quantifier, mais dont on pressent le rôle primordial dans l'économie des familles.

Nous sommes en présence à Cho Don d'une société très cloisonnée sur des bases ethniques, avec 20% de la population en marge du système agraire dominant. Mais à l'intérieur même du système Tay, les disparités sont fortes, héritage d'une période passée mais encore bien vivante, au cours de laquelle les membres de lignages dominants se constituèrent une solide base foncière, récemment recouvrée, et sur laquelle se fonde leur prospérité actuelle. Ces différents segments de la population sont donc différemment armés pour faire face aux profonds bouleversements qui, depuis les toutes dernières années, affectent les équilibres locaux. Il est aisé de repérer des gradiants de richesse et de monétarisation de l'économie locale en fonction de la distance à la route. Ce sont évidemment les foyers installés dans les bas fonds rizicoles où passent les routes et où les contacts avec les marchands et autres intermédiaires des filières peuvent s'établir aisément, qui sont les plus favorisés. Les familles les plus pauvres doivent donc maintenant pratiquer la cueillette forestière, indispensable complément à leurs revenus, sur les portions les plus lointaines des finages, là où les terres n'ont pas encore été attribuées.

Les cas présentés dans les lignes qui précèdent illustrent bien le dynamisme des ruraux, prompts à utiliser toutes les opportunités découlant de la libéralisation de l'économie.

Dans le delta, et aussi dans la moyenne région, les foyers agricoles mobilisent différentes sources de revenus au sein de systèmes d'activités complexes où le commerce, l'artisanat, les activités de service et le salariat occasionnel tiennent une place importante. Sans compter les transferts de l'Etat sous forme de retraites ou de pensions. On observe que l'accès à ces sources de revenus non agricoles favorise la diversification des productions agricoles en ce qu'il permet aux agriculteurs d'accepter un niveau de risque plus élevé. Il s'ensuit que le niveau général de l'activité économique détermine de manière très directe le niveau de revenu des ruraux et influence indirectement la nature des systèmes de production agricole. Depuis 1997, la croissance économique globale ayant diminué, les ruraux ont de plus en plus de mal à mobiliser de telles sources de revenu. Ils s'ensuit un sous-emploi accru et une précarité accentuée pour les franges les plus défavorisées de la population. Les logiques d'autosuffisance et de minimisation du risque reprennent le dessus, ce qui va à l'encontre de la diversification des productions. En zone de montagne, à ces incertitudes de l'environnement économique s'ajoutent celles liées aux bouleversements engendrés par la politique forestière de l'Etat qui semble renforcer les différenciations sociales déjà à l'oeuvre. Il est probable que le Modèle d'Economie Socialiste de Marché touche ici une de ses limites, et qu'une politique plus volontariste d'investissement en direction du secteur agricole se révèle nécessaire afin d'enrayer les phénomènes négatifs qui frappent actuellement le monde rural. L'augmentation du budget de l'Etat consacré à l'agriculture, annoncée pour l'année 2000 constitue à cet égard un signe encourageant.

Pascal Bergeret est chercheur au GRET, France. Il a dirigé le projet Fleuve Rouge de 1995 à 1999.

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