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25. Une évaluation brève montre que l'ONU, l'OIT et le Conseil de l'Europe ont adopté de 1944 à 1990 un ensemble très important d'instruments consacrés à la sécurité sociale.

26. Leurs points forts portent sur :

le développement progressif des systèmes, en servant de guide pour les champs d'application personnel et matériel, pour le niveau de protection;

sur la reconnaissance à chaque être humain du droit à la sécurité sociale. Cela devrait être un objectif majeur pour le XXIe siècle : les rapports sur le dévelop-pement humain, publiés par le Programme des Nations Unies pour le développe-ment, montrent que nous en avons maintenant la capacité ;

sur la protection des migrants, si 1' on veut bien considérer - au-delà des ratifica-tions- le rôle de modèles que jouent les textes de l'OIT et du Conseil de l'Eu-rope;

sur la souplesse, accompagnée de dynamisme, des normes (au contraire d'autres visions très dogmatiques qui ont été professées sur le plan international ces der-nières années).

27. Leurs points faibles portent :

sur 1' absence de références solides en matière de financement, domaine pourtant crucial et qui va le rester, même dans les pays dits riches, en raison notamment du vieillissement des populations et du changement du climat politique ;

sur l'absence de références solides en matière d'organisation (supplée par la co-opération technique du BIT ?) ;

sur l'absence, pour les instruments de l'OIT, de place centrale faite à l'égalité entre femmes et hommes en matière de sécurité sociale (l'apport des Nations corrige cet élément).

3. 1990-2000 QUEL DROIT INTERNATIONAL ?

3.1 L'environnement des systèmes, le climat économique et politique ont changé

28. Chacun sait que l'environnement des systèmes de sécurité sociale et le climat économique et politique ont changé ces dernières années. En quelques mots :

les besoins de protection augmentent, en tout cas pour certaines catégories fragi-lisées de nos populations ;

la vie humaine continue de s'allonger, accompagnée, dans les pays économique-ment développés, d'un accroisseéconomique-ment des années de bonne santé;

le nombre des personnes âgées dépendantes s'accroît de façon marquée et la question du soutien collectif des protections assumées par les familles n'est pas pleinement résolue21 ;

1' emploi connaît des mutations profondes : flexibilité ou fragilité (cf la question de la montée des travaux atypiques )22 ;

le chômage reste fort, même si les perspectives les plus récentes s'améliorent dans certains pays (dont la Suisse);

les valeurs sont (re)discutées: solidarité ou principe d'équivalence, égalité de traitement : jusqu'où et pour qui ?

ces dernières années, les idées d'économie sociale de marché, de partenariat so-cial, de complémentarité des secteurs public-privé, de répartition des ressources ont été fortement contestées23 ; quelques essais de retours au XIXe siècle ont été présentés comme modernes24.

3.2 Un développement général est-il possible 1 souhaitable ?

29. Un développement général du droit international de la sécurité sociale est-il pos-sible, souhaitable ? Laissons de côté la discussion politique. Une réponse affirmative devrait être retenue là où il n'y a pas ou que trop peu de protection et qu'une interven-tion normative puisse être utile.

30. Ainsi, la question dans le monde des exclus de la protection sociale a été consi-dérée comme prioritaire tant par la Conférence internationale du Travail que par le

nou-21

22

23

24

Patrick HENNESSY : Le risque croissant de dépendance des personnes âgées : rôle des familles et de la sécurité sociale. Revue internationale de sécurité sociale, 1/1997, pp. 25 sv.

Changing Work Patterns and Social Security. Edited by D. Pieters. EISS Yearbook 1999. Kluwer Law International. London/Den Haag/Boston 2000.- Lucia GERMAN! : Travail flexible et protection du travailleur. Cahiers genevois et romands de sécurité so-ciale, N° 24-2000, pp. 61 sv.

Chantal EUZÉBY : Quelle sécurité sociale pour le XXIe siècle ? Revue internationale de sécurité sociale, 2/1998, pp. 3 sv. - Jean-Pierre FRAGNIERE : La sécurité sociale dans la tempête. In: La sécurité sociale en Europe et en Suisse. Réalités sociales. Lau-sanne 1996. pp. 113 sv.- Vladimir RYS :La sécurité sociale dans une société en

transi-tion: l'expérience tchèque. Quels enseignements pour l'Europe? Réalités sociales.

Lau-sanne 1999.

BANQUE MONDIALE: La crise du vieillissement. Washington 1994.

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veaux Directeur général du BIT, Juan Sommavia25. Il est clair que l'adoption de normes doit s'accompagner d'un suivi sur le terrain.

31. Le Conseil de 1 'Europe, dans la période considérée, a répondu affirmativement à deux reprises :

par l'adoption du Code européen de sécurité sociale révisé en 199026,

par 1' adoption de la Charte sociale européenne révisée en 1996.

Le Code révisé est cependant en difficulté : s'il compte quatorze signatures, il n'a aucune ratification. La Charte sociale révisée connaît, au contraire, un succès cer-tain : seize signatures, sept ratifications.

3.3 Une approche sectorielle

32. Une approche sectorielle est menée de manière intéressante par l'Organisation internationale du Travail (OIT) et par le Conseil de l'Europe. L'OIT a ainsi adopté, en 1994, la Convention OIT N° 175 et la Recommandation OIT N° 182 concernant le travail à temps partiel. Ces textes reconnaissent l'importance de ce type d'activité pour les travailleurs comme pour 1' économie et la nécessité d'en assurer la protection notamment en matière de sécurité sociale27. Dans ce domaine, le principe des condi-tions équivalentes est reconnu : « Les régimes légaux de sécurité sociale qui sont liés à l'exercice d'une activité professionnelle doivent être adaptés de manière à ce que les travailleurs à temps partiel bénéficient de conditions équivalentes à celles des travail-leurs à plein temps se trouvant dans une situation comparable ; ces conditions pourront être déterminées à proportion de la durée du travail, des cotisations ou des gains ou par d'autres méthodes conformes à la législation et à la pratique nationales». (art. 6, Con-vention OIT N° 175).

33. Lors des travaux préparatoires, au vu des commentaires formulés par les Etats membres ainsi par les organisations syndicales et patronales consultées, le BIT a relevé que « des conditions équivalentes ne signifient pas des conditions identiques ; en effet, des travailleurs à temps partiel et des travailleurs à temps plein se trouvant dans une situation comparable devront bénéficier de la même protection sur certains plans - en matière de soins de santé, par exemple- alors que, sur d'autres -les prestations

pécu-25

26

27

Rapport sur le travail dans le monde 2000. Sécurité du revenu et protection sociale dans un monde en mutation. Bureau international du Travail. Genève 2000.

Alexandre BERENSTEIN : La révision du Code européen de sécurité sociale. Aspects de la sécurité sociale, bulletin de la FEAS, 2/1991, pp. 36 sv.

4e considérant du préambule de la Convention OIT N° 175.

niaires, par exemple - , il pourra être accepté que la protection des premiers soit déter-miné à proportion de leur durée de travail, de leurs cotisations ou de leurs gains ( ...

i

8.

34. L'art. 8 de la Convention OIT N° 175 permet, malheureusement, l'exclusion de travailleurs à temps partiel dont la durée de travail ou les gains sont inférieurs à des seuils déterminées par les Etats, à l'exception des prestations d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Cependant, ces seuils ne doivent pas « exclure un pourcen-tage indûment élevé de travailleurs à temps partiel » (§ 2), les Etats doivent les revoir périodiquement et s'expliquer à leur sujet lors des procédures de contrôle; les organisa-tions d'employeurs et de travailleurs doivent en outre être consultées(§§ 3-4). Le BIT, lors des travaux préparatoires, a relevé que la possibilité, pour un Etat, de fixer des seuils a été généralement admise29. Malgré les précautions mentionnées, il n'en de-meure pas moins que cela va à l'encontre de la protection même des travailleurs à temps partiel en matière de sécurité sociale ! Il appartient à la Recommandation OIT N° 182 de corriger cela: ses §§ 6 sv. et 16 contiennent une série de normes plus protectrices, notamment sur l'abaissement des seuils, la garantie de prestations minimales, l'adoption de règles de calcul des prestations qui ne pénalisent pas les travailleurs visés.

35. L'OIT a adopté, en 1996, la Convention OIT N° 177 et la Recommandation OIT N° 184 concernant le travail à domicile. L'égalité de traitement par rapport aux autres travailleurs est expressément prévue (en tant que« promotion», pas en tant que principe absolu) à l'égard de la protection garantie par les régimes légaux de sécurité sociale (art. 4 § 2 de la Convention OIT No 184). La Recommandation indique les voies envisageables pour assurer une protection en matière de sécurité sociale aux travailleurs à domicile : extension des régimes existant ou adaptation de ceux-ci, ou développement de régimes spéciaux (§ 25).

36. Le Conseil de l'Europe a adopté cette année une Recommandation N° R (2000) 3 sur le droit à satisfaction des besoins matériels élémentaires des personnes en situa-tion d'extrême pauvreté. Le droit à des soins médicaux de base est expressément visé.

Il devrait être garanti indépendamment du statut, notamment du droit des étrangers et être justiciable devant les autorités et les tribunaux.

3.4 La révision des grands textes ?

37. L'Organisation internationale du Travail a donc adopté une série de conventions et de recommandations très importantes pour l'émergence et le développement des

sys-28

29

OIT-CONFÉRENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL (81e session-1994): Rap-port IV (2A): Le travail à temps partiel. BIT. Genève 1994, pp. 42-43.

Idem, p. 51.

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tèmes de sécurité sociale30. Certains de ces textes sont anciens; par exemple, l'instru-ment central, que représente la Convention OIT N° 102 concernant la norme minimum de la sécurité sociale31, date de 1952. Depuis le monde a changé, les conditions écono-miques, sociales, démographiques ont évolué, l'égalité de traitement et de chances entre femmes et hommes a enfin été reconnue (et sa réalisation est en cours). Convient-il d'adapter les grands textes de sécurité sociale et si oui comment? La question ne manque pas de difficultés et n'est pas sans ambiguïté. Le climat politique, depuis la fin du mur de Berlin, est en effet davantage axé sur le libéralisme, voire le néo-libéralisme.

Le marché semble triompher, le social est souvent sur la défensive ; le tableau est très bien synthétisé par le rapport du BIT préparé à l'occasion du 75e anniversaire de l'Or-ganisation internationale du Travail32. Dans un tel contexte, la révision, « l'adaptation » des grands instruments de sécurité sociale peut signifier autant leur mise à jour que leur démantèlement.

38. Après avoir été un peu en marge du débat, le Bureau international du Travail reprend l'initiative, avec dynamisme ; le fait que son nouveau Directeur général vienne, pour la première fois, du Sud, n'y est peut-être pas étranger. Un nombre croissant d'ac-teurs socio-économiques prennent conscience des risques d'éclatement de nos sociétés

33. Il est ainsi possible qu'un réexamen des grands textes puisse s'effectuer dans des conditions correctes, peut-être même favorables.

39. Un premier test vient être réalisé, plutôt bien semble-t-il, avec l'adoption, en juin 2000, de la Convention OIT N° 183 et de la Recommandation OIT N° 191 sur la protection de la maternité. Il s'agit d'une révision de la Convention OIT N° 103 sur la protection de la maternité, qui date de 1952 et qui représentait, pour l'éventualité concernée, une amélioration de la norme minimum34. Le nouvel instrument a élargi le champ d'application personnel à de nouvelles travailleuses, en tenant compte également des formes atypiques de travail dépendant (art. 2, § 1) (des dérogations sont cependant réservées, mais elles doivent être justifiées (art. 2, §§ 2 et 3). La Convention OIT N°

183 porte la durée minimale du congé de maternité de douze à quatorze semaines (art. 4). Les prestations de soins et en espèces gardent le même niveau et la même souplesse qui permet de s'adapter aux divers types de législations nationales (assurance sociale ou service public ; prestations en espèces établies en fonction du revenu antérieur ou selon d'autres méthodes). Une dérogation relative au niveau des prestations en espèces (deux

30

OIT-CONFÉRENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL (81e session-1994): Rap-port du Directeur général (partie I) : Des valeurs à défendre, des changements à entre-prendre. La justice sociale dans une économie qui se mondialise: un projet pour l'OIT.

Bureau international du Travail. Genève 1994.

Voir p. ex. :-Rapport sur le travail dans le monde 2000. Sécurité du revenu et protec-tion sociale dans un monde en mutaprotec-tion, cité à la note 25.- Hugues de JOUVENEL: La société disloquée. Futuribles, 1995, N° 201, pp. 3-4.

Posée par la Convention OIT N° 102.

tiers du gain antérieur) est introduite au bénéfice des pays dont l'économie et le système de sécurité sociale sont insuffisamment développé (art. 7). Des règles relatives au droit du travail (non couvert par la présente étude) sont modifiées par le nouveau texte. Ainsi, après des débats nourris, cette révision paraîe5 avoir été convenablement effectuée.

40. Le droit international de la sécurité sociale repose sur des bases solides, adoptées dès 1944. Il accompagne la naissance de la sécurité sociale, reconnaît à chaque être humain un droit à la protection, guide le développement des systèmes, s'inquiète de la situation des migrants. L'environnement des systèmes incite à certaines révisions, mais le climat politique n'est pas toujours favorable à la protection sociale. Plutôt qu'un développement général, ce sont les questions des exclus de la protection et d'approches sectorielles qui sont prioritaires. Une révision fondamentale doit tenir compte des nou-velles données, lesquelles ne sont pas sans ambiguïtés. Les perspectives sont vraiment ouvertes.

35

* * * * *

Une affirmation sans nuance nécessiterait un examen systématique de l'ancienne et de la nouvelle convention, de leurs recommandations respectives, sous l'angle tant du droit de la sécurité sociale que du travail.

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