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Des économies fragiles qui ne favorisent pas la création d’emplois marchands

Des économies confrontées à des déséquilibres

et des handicaps structurels

ٰL’évolution du PIB dans les départements d’outre-mer

En France, depuis le début des années 1990, la croissance du Produit intérieur brut (PIB) n’a été interrompue que par les récessions de 1993 puis de 2008-2009. Ces grandes évolutions se sont cependant déclinées différemment selon les régions. Dans les départements d’Outre-mer, la récession de 2008-2009 a été forte mais le redémarrage l’est tout autant149.

Les comptes de chaque Département d’Outre-mer (DOM) n’ont pas encore pu être établis séparément avec le même recul temporel que pour les régions métropolitaines.

Toutefois, on dispose d’un agrégat d’ensemble pour les quatre DOM depuis les années 1990. Ainsi, le PIB global des quatre DOM (Mayotte n’en faisait pas encore partie) augmente en volume de + 3,1 % en moyenne par an entre 1993 et 2011 contre + 1,7 % en France métropolitaine. Comme en métropole, la progression de l’activité dans les DOM apparaît corrélée à la croissance démographique. En 2009, la récession a également touché les DOM (- 2,1 %). Toutefois, en 2011, le PIB en volume agrégé pour ces quatre DOM dépasse déjà de 3 % son niveau atteint avant la récession, en 2008. La forte croissance de la valeur ajoutée des services marchands et non marchands y a particulièrement dynamisé l’activité.

L’examen des PIB en valeur pour chacun des quatre DOM, disponibles pour la seule période récente (2008-2011), fait cependant apparaître des trajectoires contrastées. Ainsi, la Guyane est le seul DOM dont le PIB n’a pas reculé en 2009 (+ 4,6 %). Concernant les DOM Antillais, la Martinique a été plus fortement touchée par la récession (- 2,1 % en 2009) que la Guadeloupe (- 0,8 %), région qui affiche également une reprise plus vigoureuse. Enfin, La Réunion est le département domien le plus impacté par le recul de l’activité en 2009 : son PIB a fléchi de 2,6 % en valeur. Malgré ces évolutions, la situation du marché du travail ne s’est pas en parallèle améliorée.

ٰUn niveau de développement humain élevé à l’échelle mondiale mais un écart moyen de 20 ans avec la métropole150

Une étude publiée par l’Agence française de développement (AFD) en novembre 2012 - dont l’objectif était de déterminer le niveau de développement de tous les Outre-mer grâce à l’Indice de développement humain (IDH), de les comparer entre eux et avec ceux des pays voisins sur la période 1990-2010 - a mis en lumière un niveau élevé de développement humain dans les collectivités ultramarines qui les place, en 2010, dans la catégorie des pays à développement humain très élevé (Guadeloupe, Martinique et Nouvelle-Calédonie) ou élevé (Guyane, La Réunion et Polynésie). Seule Mayotte figurait, en 2005, dans le groupe des pays à développement humain moyen.

149 Brière Luc et Clément Élise, division statistiques régionales, locales et urbaines, Croissance dans les régions : davantage de disparités depuis la crise, INSEE, Insee Première, n° 1501, juin 2014.

150 Sudrie Olivier, cabinet DME, Quel niveau de développement des départements et collectivités d’Outre-mer ? Une approche par l’indice de développement humain, AFD, document de travail du département de la recherche, novembre 2012, mise à jour en février 2013.

Ces données ont permis de mettre en évidence un niveau de développement humain dans les collectivités ultramarines françaises bien supérieur à celui prévalant dans leur environnement régional. Ainsi, les départements français d’Amérique possèdent le plus haut niveau de développement humain de la Caraïbe et la Guyane devance le Brésil et le Suriname. Le niveau de développement de Mayotte, pourtant le plus bas de tous les DOM, était, en 2005, 50 % plus élevé que celui des Comores.

Au-delà, l’analyse de ces données a également mis en lumière le fait que la valeur de l’IDH dans les collectivités ultramarines, par rapport au niveau métropolitain, est tirée à la hausse par sa dimension sociale et à la baisse par les performances économiques (revenu par tête). Plus précisément, ces performances sociales doivent beaucoup aux valeurs élevées de l’indice de la santé (espérance de vie) plutôt qu’à celles de l’éducation : dans le domaine de la santé, l’écart moyen avec la métropole était de l’ordre de 5 % seulement en 2010, alors qu’il était de 25 % en matière d’éducation.

ٰDes inégalités persistantes

Les départements et collectivités d’Outre-mer ont donc connu au cours des deux dernières décennies des taux de croissance de leur PIB réel parmi les plus élevés des régions françaises, participant à un phénomène progressif de rattrapage économique et social par rapport à l’hexagone. Toutefois, comme le soulignait l’Agence française de développement lors d’une conférence151, cette dynamique de réduction des écarts de niveau de vie avec l’hexagone masque un autre phénomène prégnant dans les Outre-mer  : le poids des inégalités. En effet, d’après l’étude publiée en octobre 2013 par le Centre d’observation et de mesure des politiques sociales (COMPAS) intitulée Des départements d’Outre-mer marqués par les difficultés sociales et les inégalités, les DOM sont des territoires où coexistent forte richesse et très grande pauvreté, La Réunion et la Martinique arrivant en première et en troisième positions des départements français les plus inégalitaires. Ce constat vaut également pour les collectivités du Pacifique.

ٰDes déséquilibres et des handicaps structurels

Ce paradoxe d’une évolution positive du PIB et de l’IDH et la persistance d’un chômage structurel élevé résulterait de certaines caractéristiques des économies ultramarines qui expliquent les déséquilibres, freins à la croissance et au développement durable. Malgré la grande diversité des situations économiques et sociales d’une collectivité ultramarine à une autre, la plupart de ces déséquilibres se retrouvent dans l’ensemble de l’outre-mer français, notamment parce qu’ils pâtissent des mêmes handicaps structurels.

La première caractéristique commune est le fait que tous les territoires ultramarins forment de petites économies, tournées essentiellement vers leur marché intérieur et étroitement liées à l’hexagone. Ces territoires petits, isolés et marqués par d’importantes contraintes géographiques et climatiques sont en effet confrontés à l’étroitesse de leur marché intérieur où les grandes industries sont quasi inexistantes. Les économies d’échelle, les possibilités de diversification des productions industrielles et des activités de service et la pleine exploitation des capacités de production sont difficilement réalisables. En outre, l’éloignement des sources d’approvisionnement entraîne des surcoûts de production et de stockage. Enfin, la concurrence des pays voisins, non soumis aux mêmes niveaux de normes, 151 « Inégalités dans les Outre-mer : comment y remédier ? », Conférence de l’Agence française de développement

(AFD), 25 juin 2014.

rend difficile l’externalisation des activités et, de manière générale, une véritable insertion dans les marchés économiques régionaux.

Le rattrapage économique qui s’est opéré au cours des deux dernières décennies ne doit pas masquer une situation économique et sociale difficile, avec la problématique récurrente du coût de la vie Outre-mer et les problèmes de compétitivité des appareils productifs des territoires ultramarins. Cette croissance économique déséquilibrée explique les gisements d’emploi limités principalement à l’économie résidentielle et à la sphère publique plutôt qu’à l’économie productive, de l’innovation et de l’entrepreneuriat.

Les territoires ultramarins se caractérisent ainsi par de véritables défaillances de leur marché du travail qui offre de moins en moins d’opportunités aux nouvelles générations.

Dans la plupart des territoires ultramarins, les économies sont fortement tertiarisées, au détriment du secteur secondaire, voire du secteur primaire même si ce dernier continue à occuper un poids non négligeable. Ce contexte se traduit de manière générale par un déficit structurel d’emplois dans le secteur privé, notamment dans les secteurs de l’industrie, de la construction, voire des services marchands. Le poids du secteur secondaire est en effet inférieur au niveau national : alors qu’il représentait en 2009 au niveau national 20,7 %, il n’atteignait que 14,2 % en Martinique, 14,1 en Guadeloupe et 12,7 à La Réunion. S’agissant des emplois, la situation est identique, le poids du secteur secondaire est inférieur au taux métropolitain (22 %) en Martinique (13,9 %), en Guadeloupe (15 %) et à La Réunion (15,9) mais supérieur en Guyane (25,9 %)152.

En outre, les économies des territoires ultramarins sont caractérisées, pour la plupart d’entre-elles, par une dépendance à un nombre limité (trois ou quatre) de domaines d’activité jouant véritablement en termes de croissance, et surtout d’emplois. Il s’agit principalement de l’agriculture et de l’agroalimentaire, du secteur du bâtiment travaux publics et du tourisme. Cette dépendance fragilise fortement l’économie des Outre-mer, et peut avoir des conséquences néfastes en termes de destruction d’emplois. En effet, lorsque l’un de ces secteurs rencontre des difficultés, c’est généralement l’ensemble de l’économie du territoire concerné qui est affectée.

Cette situation de fragilité est renforcée par une autre particularité du tissu économique des territoires ultramarins  : la très large prédominance des très petites entreprises qui emploient peu et la plupart du temps pas de salariés. Les très petites entreprises sont plus souvent sensibles aux soubresauts de la conjoncture. À titre d’exemple en Polynésie française, en 2011, 79 % des entreprises actives au Répertoire des entreprises sont constituées sous forme d’entreprises individuelles et 88 % des entreprises polynésiennes sont constituées d’une ou deux personnes153.

152 Source : IEDOM.

153 Institut de la statistique de la Polynésie française, Bilan des entreprises polynésiennes en 2011.

Tableau 11 : répartition des établissements

selon leur nombre de salariés dans certains territoires ultramarins

Établissements selon la taille au 31 décembre 2011

Aucun salarié 1 à 9 salariés 10 à 19 salariés 20 salariés et plus

Guadeloupe 82,1 14,6 1,7 1,5

Guyane 75,6 19,0 2,7 2,7

Martinique 82,5 13,9 1,8 1,9

La Réunion 73,6 21,0 2,5 2,7

France

métropolitaine 68,2 25,5 3,1 3,2

Champ : Établissements actifs, hors secteur de la défense.

Source : INSEE, Clap.

Nouvelle Calédonie :

entreprises par tranche de salariés au 1er janvier 2013

( source: institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle Calédonie.)

«

nombre de salariés 0 1 à 9 10 à 19 20 à 29

proportion d’entreprises 88,1% 9,7% 1,1% 1,1%

Source: institut de la statistique etd es études économiques de la Nouvelle-Calédonie.

Sources : INSEE et ISEE.

Les taux de mortalité des entreprises ultramarines sont relativement élevés par rapport à la métropole. Alors qu’en 2007, le taux de survie au niveau national atteint 65 % à trois ans et 51,9 % à 5 ans, il est très inférieur dans les départements d’Outre-mer. Ainsi, pour la même année, le taux de survie à trois ans est de 55 % à La Réunion. En Martinique, le taux de survie à 3 ans est de 60 % et de 30 % à 5 ans, soit des niveaux inférieurs de vingt points au niveau national.

En prenant l’exemple de la Guyane, la fragilité du tissu économique local ne favorise pas une large insertion des jeunes. En 2010, 7 700 entreprises du secteur marchand hors agriculture sont implantées en Guyane mais 7  100 sont des micro-entreprises fragiles.

À l’autre bout de l’échelle, il n’y a que 55 grandes entreprises employant seulement 4 400 salariés. Les micro-entreprises et les PME Guyanaises sont peu en capacité de recruter les jeunes en fin de formation, quels que soient les efforts de ces entreprises et des chambres professionnelles compétentes. Elles sont aussi peu en capacité d’accueillir les élèves pendant les périodes de formation en milieu professionnel.

À Mayotte, le vice-rectorat avec plus de 6 000 salariés serait le premier employeur de l’île.

De manière générale, confrontées à un fort endettement et une faible capacité de fonds propres, les entreprises ultramarines éprouvent de grandes difficultés à embaucher durablement, en CDI.

En outre, l’importance du secteur public dans la structure économique des territoires ultramarins constitue un des facteurs d’explication des difficultés du secteur privé à attirer et à recruter les jeunes diplômés, le secteur privé comportant ses propres difficultés.

Le rôle pivot du secteur public

Dans un contexte de forte tertiarisation en outre-mer, le poids important de la fonction publique dans son acception la plus large (état, territoriale, secteur de l’éducation de la santé et de l’action sociale) a fait dire au député Patrick Lebreton dans son rapport au Premier ministre sur la Régionalisation de l’emploi154 que l’Outre-mer se caractérise par « le rôle pivot de la fonction publique dans la situation des marchés de l’emploi ».

La fonction publique occupe une place importante au sein de l’ensemble de la population active des territoires ultramarins, bien supérieure à celle dont elle dispose en métropole. En 2011, en moyenne en France, une personne sur cinq (20,4 %) travaillait dans l’un des trois versants de la fonction publique155. Dans les 4 DROM, la part de l’emploi public atteint en 2011 30 % en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion et culmine à 42 % en Guyane. Il faut en outre noter que dans les DOM, en moyenne 47 % des agents de la fonction publique d’État sont des enseignants, contre 39 % pour l’ensemble du territoire national. En outre, le recours aux contrats aidés y est plus fréquent156.

Cette situation particulière du marché du travail avec ce poids très important du secteur public s’explique historiquement par la mise en place dès les années 1950 de mesures dérogatoires aux règles de droit commun concernant la fonction publique Outre-mer.

Ce particularisme se fonde sur le fait qu’il y avait un problème d’attractivité, de difficulté de recrutement en Outre-mer à cause de l’éloignement et de l’isolement. Cette situation a conduit à mettre en place des incitations financières pour attirer les fonctionnaires métropolitains. Ce système incitatif demeure aujourd’hui et prends plusieurs formes  : majorations des rémunérations, primes d’installation, congés bonifiés et bonifications de retraite.

Ce contexte particulier aux outre-mer caractérisé par d’importants déséquilibres économiques et sociaux liés à une faiblesse de la création d’emplois durables dans le secteur privé et un poids important de secteur public a conduit les gouvernements successifs depuis la fin des années 1990 à mettre en place une série de mesures d’exonérations de cotisations sociales visant à soutenir le tissu économique par une réduction du coût de production des entreprises afin de les rendre plus compétitives et permettre in fine de la création d’emplois.

Sans entrer dans une analyse précise de l’ensemble des mesures d’exonérations mises en œuvre par tous les gouvernements successifs depuis 25 ans, cette politique est « considérée par les nombreuses études existantes comme fortement créatrice d’emplois, même si l’ampleur exacte des effets prête à débat. Elle présente une grande efficacité en termes de coût par emploi créé dans les conditions actuelles de fonctionnement de notre marché du travail. Les effets sur les salaires sont plus ambigus : la baisse du chômage ainsi que le partage du surplus entre salariés et employeurs peuvent conduire à une hausse du salaire négocié ; inversement la progressivité des taux de cotisation peut limiter l’effet sur les salaires des gains de productivité157. » Cette analyse d’une création d’emplois liée aux exonérations de cotisations sociales est néanmoins contestée par une partie des organisations syndicales de salariés.

Il faut ajouter que cette politique de baisse de cotisations sociales est toujours au cœur de l’action gouvernementale puisque depuis le 1er janvier 2013, le Crédit d’impôt pour la 154 Lebreton Patrick, député de La Réunion, La régionalisation de l’emploi, rapport au Premier ministre, 2013.

155 INSEE, L’emploi dans la fonction publique en 2011, INSEE Première, n° 1460, juillet 2013.

156 Ibidem.

157 Ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie, « Trésor-Eco », n° 97, janvier 2012.

compétitivité et l’emploi (CICE) est assimilé à une baisse de cotisations sociales, sous la forme d’une réduction de l’impôt à acquitter l’année n+1 au titre de l’exercice n.

La crise a renforcé ces déséquilibres, contribuant ainsi à la persistance du chômage de masse, notamment chez les plus jeunes. Par ailleurs, une des conséquences de cette situation est la croissance en Outre-mer du secteur de l’économie informelle. L’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE) a conduit, à partir de 2007, une série d’études dans certains territoires ultramarins qui ont révélé l’importance et la pluralité des situations dans le secteur du travail indépendant informel. Le travail réalisé par l’ADIE montre que

«  l’existence de ce secteur informel relève d’un calcul économique de court terme  »158, finalement en contradiction avec un modèle construit de développement durable. La crise a surtout conduit à une prise de conscience de la fragilité du modèle de développement ultramarin traditionnel dépendant largement d’une politique publique de rattrapage par des transferts publics massifs et l’allocation de subventions nationales ou européennes menée au titre de la solidarité.

Ce modèle actuel de développement en Outre-mer montre ses limites en termes de création d’emplois et de capacité à absorber chaque année les jeunes diplômés ou non entrant sur le marché du travail. Même hors période de crise, entre 1998 et 2008, le dynamisme constaté de l’emploi dans les territoires ultramarins, lié à la croissance forte du PIB, n’a pas permis de résorber le chômage sur les dix dernières années, compte tenu de la croissance de la population active.

Les dispositifs de formation initiale,